Perreau et le punk fantastique

« Je t’en parle, j’ai des frissons », lance Yann Perreau en rentrant sa tête dans son cou et en frottant ses bras recouverts de son manteau de cuir. Il y a déjà une bonne demi-heure que le chanteur parle presque sans pause de Jacques Higelin. Les anecdotes fusent, les adjectifs aussi, non sans un certain réalisme toutefois. Le prolifique Français était un grand de la musique, estime Perreau, mais il reste méconnu au Québec.
Plus tôt cette année, le 6 avril, Higelin a rendu l’âme — et il en avait une très forte —, causant une onde de choc dans le monde de la musique. À la radio, dans les jours qui ont suivi, Yann Perreau s’était remémoré les quatre mémorables premières parties qu’il avait faites pour Jacques Higelin en 2000. Le voilà dimanche à la tête d’un spectacle-hommage aux Francos de Montréal, avec comme groupe les anciens de La Sale Affaire et avec comme invités Catherine Major, Hubert Lenoir et Anna Frances Meyer, des Deuxluxes.
« C’était comme si je rencontrais un mentor », se souvient Yann Perreau, sur qui Higelin a eu un fort effet lors des quelques jours passés avec lui. Il l’imite ici, raconte une anecdote là, son image imprimée sur sa rétine, celle de l’homme tout de noir vêtu, mais « en espadrilles blanches ».
« Il incarnait la liberté totale, c’était un vrai indépendant, dit Perreau. Il incarnait la poésie, mais la poésie organique. Il était tout le temps dans le magique. »
À Montréal, après un spectacle au Corona, Jacques Higelin s’était attablé à l’époque à L’Express, avec des amis d’ici, comme Jim Zeller et Michel Pagliaro. Yann Perreau avait 24 ans à l’époque, et n’avait pas encore lancé son premier disque solo après l’époque de Doc et les Chirurgiens.
« Je me souviens d’avoir rempli son verre de vin, presque jusqu’au bord. Il m’avait fait “ tss-tss-tss ”, puis m’avait donné ce verre et m’avait dit d’en remplir un autre à moins que la moitié. “ On n’est pas des soûlons ! ” Eille, on en descendait des bouteilles… mais on le faisait avec classe ! »
À l’époque, Yann Perreau, comme plusieurs de son âge, ne connaissait pas Jacques Higelin plus qu’il ne faut, lui qui commençait son exploration de la « chanson française contemporaine », avec Bashung et Arthur H, le fils d’Higelin. « Et je me suis aperçu que c’était pas un chanteur français du genre de Gilbert Bécaud, c’est rock’n’roll, c’est un punk. »
Les oignons
Pour monter le spectacle-hommage de dimanche, celui qui vient de lancer le EP de quatre chansons Voyager léger s’est replongé dans tout le répertoire d’Higelin, qui a enregistré près d’une vingtaine de disques en tout. L’idée n’est pas de faire plaisir à tout le monde, mais de trouver un filon plus personnel. La soirée oscillera entre le plus poétique et le plus dynamique, dit Perreau.
« Mais c’est quoi, son hit ? » demande celui qui animera cette année le Premier Gala de l’ADISQ avec Marie-Mai. « Il incarne le magnifique, le fantastique, il a quelque chose. Et en même temps, je ne vois personne avec un t-shirt d’Higelin. Jamais je n’entends une reprise de lui, jamais on ne l’entend à la radio. » Autant de constats qui teinteront sa sélection.
C’était comme si je rencontrais un mentor. [Jacques Higelin] incarnait la liberté totale, c’était un vrai indépendant. Il incarnait la poésie, mais la poésie organique. Il était tout le temps dans le magique.
Dans ce genre d’exercice-hommage, il peut être « pénible » d’apprendre des chansons, confie Perreau, la magie initiale laissant parfois place à l’ennui.
« Mais avec lui, c’est le contraire. Au début, je l’écoutais, il y avait des bouts que j’aimais moins. Mais maintenant que je découvre ça, c’est comme si c’étaient des oignons, il y a des couches et des couches. Si tu écoutes les tounes d’Aznavour, tu sens que les textes sont travaillés, c’est ciselé, c’est de l’orfèvrerie. Higelin, c’est du brut, ça ne rime pas toujours. Sauf qu’à force d’écouter, tu te rends compte que c’est un poète qui faisait confiance à son instinct. Peut-être parce que c’était ça pour lui. Et c’est peut-être pour ça qu’il n’a pas de hit. Et c’est peut-être qu’il n’en voulait pas non plus ! »
Des invités variés
Pour la soirée officiellement intitulée Tombés du ciel, un salut au grand Jacques Higelin, le chanteur de Beau comme on s’aime a cherché à s’entourer de gens aux horizons divers. Il a commencé par Yves Desrosiers, avec qui il a déjà travaillé sur un hommage à Piaf en 2015, puis a invité les deux vieux potes du vétéran guitariste, soit le batteur François Lalonde et le bassiste Gilles Brisebois, qui jouaient jadis avec Jean Leloup sous le nom de La Sale Affaire.
« Et pour les invités, j’ai pensé à Hubert Lenoir parce que j’avais besoin d’un personnage qui incarne la liberté, qui meuble le stage, qui a une aisance. C’est quand même Higelin, il faut que tu incarnes de la vie ! »
Catherine Major portera sur ses épaules une richesse musicale et poétique du répertoire, alors qu’Anna Frances Meyer fera gronder les amplificateurs avec son énergie. « Elle va être parfaite pour faire Trois tonnes de T.N.T, ça va brasser mon gars, le monde va friser. Je te jure, c’est punk. Les Sex Pistols peuvent aller se rhabiller ! »
C’est donc dans l’énergie brute de chacun que Perreau va puiser pour le spectacle. « C’est le moteur pour donner un show autant pour les fans que pour les néophytes d’Higelin, qui vont sentir cet amour, cette générosité-là d’un homme qui n’avait pas de frontières. »