Kent Nagano: montrer Beethoven

Le chef de l'Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano, vendredi soir
Photo: Antoine Saito Le chef de l'Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano, vendredi soir

Après quatre concerts Beethoven avec moins de cinquante musiciens, la 9e symphonie a vu la fusion des deux ensembles. Kent Nagano fait ainsi de cet Opus 125 un saut déterminant dans l’histoire de la symphonie, ce que l’oeuvre est en soi, par l’utilisation des voix, mais que, dans le corpus, sur le plan expressif, formel et dimensionnel, l’Héroïque est tout autant, ce qu’on n’a pas vraiment ressenti cette semaine.

C’est au cours du 3e mouvement que j’ai compris, ou que, du moins, me sont venus les mots pour résumer cette expérience Beethoven d’une semaine en compagnie de Kent Nagano et de l’OSM, douze ans après l’arrivée du chef à Montréal. À l’issue de la Symphonie héroïque, j’écrivais : « On admire ce qui se passe, mais on n’en retire, en tout cas en ce qui me concerne, aucune expérience de vie durable ou édifiante. »

Badinerie

 

Pendant l’Adagio molto et cantabile, 3e mouvement de la Neuvième, est apparue la manière de verbaliser autrement les choses. Je me demandais pourquoi, alors que tout, selon les indications de Beethoven, devrait évoluer dans les registres piano, mezza voce (à mi-voix), dolce (doux) et pianissimo, c’est-à-dire sur le registre du mystère et de la confidence, nous entendions l’orchestre jouer mezzo forte une chose badine.

Pourquoi procéder ainsi, si ce n’est pour mettre en avant, pour montrer, que le tempo ne doit pas être si adagio que ça ? Pourtant, jouer plus vite n’empêche pas de faire les nuances… tout comme, pour le baryton, dans le Finale, rugir comme le roi lion n’empêche pas de chanter les notes !

Quelques instants plus tard, dans ce même 3e mouvement, surviennent des liaisons de notes par deux. On dresse l’oreille, car il est rare de voir ces liaisons aussi fortement soulignées. En se penchant sur la partition, c’est bien ce que l’on voit aux mesures 50 et 51. Cette semaine, Kent Nagano a lu, a vu et nous a montré Beethoven de cette manière.

Je ne sais pas ce que les liaisons soulignées aux mesures 50 et 51 apportent à ma vie d’être humain. Par contre, je n’ai aucun doute à quel point le fin dosage des nuances de Beethoven, par exemple le pianissimo et l’espressivo avant l’Andante moderato ouvrant la 2e section du 3e mouvement, fait atteindre à l’auditeur un état supérieur.

Manque d’éloquence

Photo: Antoine Saito Après quatre concerts Beethoven avec moins de cinquante musiciens, la «9e symphonie» a vu la fusion des deux ensembles qui s'étaient partagé les dernières représentations.

Au bout de cinq concerts, et puisque les concerts de Kent Nagano sont détaillés, l’analyste peut entrer dans le détail et, sur ce point, même si cela ne risque de choquer que les germanophones, j’aimerais exprimer mon étonnement face au manque de finition dans l’éloquence du Finale de cette Neuvième.

Le mouvement est bien chanté, mais il est mal énoncé. Au bout de douze ans, et de si nombreuses reprises de cette oeuvre par l’OSM, on peut s’attendre à une tout autre finition chorale que ce no man’s land de consonnes allemandes mollassonnes.

Les mots qui semblent compter dans le Finale de Kent Nagano sont « wohnen » (habiter) « Millionen » (millions) et, heureusement, le symbolique « Brüder » (frères). Mais baignent dans la guimauve les baisers (« Küsse », sans k, ni s), d’un monde (« Welt » sans t) sans voûte étoilée (« Sternenzelt », sans s, ni t, ni z). Quand on reprend un Beethoven remis tant et plus sur l’ouvrage, c’est pour atteindre un niveau de lecture et de finition bien plus approfondi.

Sur le plan orchestral et esthétique, comme par ailleurs dans le cycle (notamment la 7e symphonie), Kent Nagano a creusé de manière intéressante l’utilisation expressive des effets de non-vibrato dans le jeu des cordes. Pour la Neuvième, outre les éléments précités des 3e et 4e mouvements, l’observance (inutile à mes yeux) de toutes les reprises du 2e mouvement est à noter, car elle en gonfle l’importance dans l’équilibre général de la symphonie. Ce mouvement prend autant d’importance que les 1er et 3e volets, ce qui est sans doute trop d’honneur.

Quant au Finale, il se signale surtout par une marche très rapide qui influe sur la fugue subséquente, très ardue pour les cordes, et sur le choeur qui enchaîne, très haché, avec des allures quelque peu militaires.

 

Mais qu’importent les détails. La Neuvième, ça marche toujours. Dans deux ans, ou plus si l’OSM n’est pas prêt pour trouver un successeur au directeur musical actuel, ce sera le tour de quelqu’un d’autre de la défendre. Ce sera agréable d’y entendre d’autres perspectives.

Joie et grandeur : la 9e Symphonie

Beethoven : Chant élégiaque. Symphonie no 9 (intégrale des Symphonies – concert 5). Erin Wall, Allyson McHardy, Joseph Kaiser, Petri Lindroos, Choeur et Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano. Maison symphonique de Montréal, vendredi 1er juin 2018. Reprise samedi.

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