La communion du rock avec Lydia Lunch

Égérie underground, artiste prolifique, tête d’affiche de la scène no wave new-yorkaise des années 1980 et figure profondément anti-consensuelle, la très loquace Lydia Lunch emmène son groupe-rétrospective Lydia Lunch Retrovirus en ville cette semaine, dans le cadre du Distorsion Psych Fest. Après toutes ces années à cracher au visage de « l’ennemi » dans son travail, la chanteuse à la sincérité crue croit plus que jamais à la valeur thérapeutique du rock.
Lydia Lunch est de retour à New York, la ville qui l’a vue naître comme artiste et phénomène. Après une douzaine d’années d’exil volontaire à Barcelone, cette icône des années punk a senti le besoin de revenir aux États-Unis, où elle pouvait être réellement utile. « Quand je suis partie, Bush venait d’être élu pour un second mandat et je n’en pouvais plus. J’avais besoin de fuir, explique Lunch, jointe par téléphone à son domicile new-yorkais. Mais particulièrement maintenant, j’ai senti qu’il fallait revenir, c’est ici que je suis le plus utile : sur la ligne de front. »
Née en 1959, Lydia Anne Koch fuit à 16 ans sa vie à Rochester, dans l’État de New York, et un père sexuellement violent. À son arrivée dans la ville qui ne dort jamais, en 1976, elle se lie d’amitié avec les personnages de la scène underground et punk (Alan Vega, James Chance, Willy DeVille). Elle fonde et mène le brutal groupe Teenage Jesus and the Jerks, figure centrale de ce qu’on appellera la scène « no wave », qui s’opposait, par des productions nihilistes et anti-commercialisables, à la popularité de la new wave de l’époque.
Au courant de la fin des années 1970 et des années 1980, la chanteuse se produit aussi sur la bourgeonnante scène de la poésie et du spoken-word, en plus de jouer dans plusieurs films expérimentaux à plus ou moins grande valeur pornographique. Dans les dernières années, l’artiste a fait paraître un livre de recettes (The Need to Feed. Recipes for Developing a Healthy Obsession for Deeply Satisfying Foods, 2012), a collaboré avec Thurston Moore, est apparue dans le documentaire Mutantes(Féminisme porno punk) en 2009, a fait des expositions de photos et animé des ateliers de création et de motivation « From the Page to the Stage », pour les femmes qui veulent travailler la littérature sonore.
Et à 58 ans, toujours férocement opposée à l’industrie et à l’hypocrisie, Mme Lunch dit avoir consacré sa vie et son travail à la recherche du plaisir qui nous libère de l’enfermement, qu’il soit mental, artistique, sexuel ou politique.
« Il y a beaucoup de choses pourries dans ce pays, poursuit-elle en parlant des États-Unis. Par exemple, comment se fait-il que dans le pays le plus riche du monde, la pauvreté soit aussi présente ? Sans compter qu’il n’y a pas vraiment de candidats pour qui on peut réellement voter, ils sont tous issus de la même [élite] corporatiste. Mais il faut se rappeler qu’il existe aussi beaucoup de belles choses ici : la musique, la littérature, les arts. C’est pour ça que le rock est si nécessaire. C’est la meilleure soupape. »
Le mauvais père
Si Lydia Lunch parle depuis ses premiers albums et lectures de poésie de la destruction engendrée par l’Amérique corporative, incarnée par le symbole du « père de famille », la situation atteint selon elle ces dernières années un point critique. « Ce qui se produit partout dans le monde en ce moment, c’est un état perpétuel de génocide, affirme l’artiste. Il y a plus de division que jamais aux États-Unis en ce moment. Et ça se passe également autour du monde parce que ce pays a contaminé le monde entier. »
En cette période où l’on a vu l’émergence de #BlackLivesMatter, où la jeunesse états-unienne prend la rue pour dénoncer le lobby des armes et où les femmes dénoncent sans gêne leurs agresseurs, la reine de l’underground croit-elle que la société commence à intégrer le message de révolte qu’elle porte depuis toutes ces années ? « Je crois que les gens commencent à comprendre, oui, répond l’artiste. Mais que sont-ils censés faire, réellement ? Je crois que les gens savent qu’ils sont opprimés, mais nous sommes prisonniers. On vit dans un système dirigé par des kleptomanes. C’est pour cela que le rock est si précieux. Il nous permet de ne pas complètement nous enfoncer. Il nous faut trouver des façons de communiquer, de trouver des sources de plaisir pour rester sains d’esprit. Mais je ne crois pas que ça passera par les réseaux sociaux. Je parle de vraie connexion humaine. C’est extrêmement difficile de rester sain d’esprit dans un monde autant bombardé de mauvaises nouvelles. »
C’est donc à cela qu’on pourra s’attendre vendredi sur la scène de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End : une décharge rauque, psychédélique, profondément no wave. Une pulsation dans l’homogénéité du quotidien. « La musique vient comme un soulagement plus léger que la littérature. Même s’il n’y a pas grand-chose de léger dans la musique que l’on fait. »
Retrovirus est un groupe composé des plus proches amis et collaborateurs habituels de Lydia Lunch. « C’est une rétrospective de ma musique, explique Mme Lunch. Ça couvre beaucoup de ce que j’ai fait dans ma vie. Weasel Walter, Tim Dahl et Bob Bert [les musiciens qui partagent la scène avec elle] donnent vraiment une belle cohérence aux chansons, une intensité nouvelle. C’est très intense, c’est un vrai truc excitant. Il faut le voir pour le croire. Ça aide à conserver la santé mentale. »
À voir au Distorsion Psych Fest
Yonatan GatLe virtuose et possédé guitariste new-yorkais vient lancer son nouvel album, Universalists, sorti vendredi, dans le cadre du festival. Le collectif TEKE TEKE, alliant des éléments de la musique traditionnelle et rock garage, sera aussi de la soirée. Son mini Jikaku est aussi paru tout nouvellement.
Mercredi, 20 h, à l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End
The Besnard Lakes
Le groupe shoegaze de Jace Lasek et Olga Goreas, de retour sur scène, offre le moment atmosphérique de la programmation. Le collectif montréalais sera précédé sur scène du groupe rock de l’heure, Corridor, de Moonwalks et de Spaceface.
Jeudi, 20 h, à l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End.
Les Marinellis
Après une petite pause, le coloré quintuor d’inspiration surf rock Les Marinellis vient tout juste de faire paraître une nouvelle chanson, Peinture à numéro, chez Burger Records. Un album à venir ? On l’espère. Ils seront en vedette de la soirée de samedi, avec Barry Paquin Roberge, les Sud-africains de Make-overs et Ponctuation.
Samedi, 20 h, à l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End.