Dominique Fils-Aimé lance «Nameless»

« L’histoire des Noirs, mon histoire, je ne l’ai pas lue à l’école, je l’ai apprise en écoutant la musique », explique l’auteure-compositrice-interprète Dominique Fils-Aimé. « Car l’histoire des Noirs — celle de tous les humains, en fait — est écrite dans les chansons. » C’est à Billie Holiday et à Nina Simone que pense alors la musicienne, deux influences majeures que l’on décèle en filigrane de Nameless, ce nouvel album qu’elle présentera ce mercredi sur la scène du Centre Phi, premier volet d’un triptyque sur le thème de la liberté.
Lorsqu’elle enregistrait Nameless, Dominique Fils-Aimé répétait cette consigne à ses musiciens : « Le silence est un instrument, aussi. Lui aussi fait des solos, parfois. Il faut lui laisser de la place. » Si on cite à dessein Billie et Nina, c’est en grande partie en raison des thèmes développés par la musicienne sur Nameless, à cause bien sûr des racines de son travail, blues, jazz, soul.
Or, son souci du silence, de la retenue recherchée dans l’interprétation de ces nouvelles chansons, rappelle davantage la posture, contemplative mais passionnée, d’une Sade. Du chant intensément moelleux, qui laisse toute la place aux textes.
Je crois que la musique peut aider les gens, mieux encore que les systèmes d’assurances mis en place dans ces sociétés
Toutes les libertés
Entre le dépouillement de sa version du classique de Holiday Strange Fruit et sa délicate relecture du Feeling Good popularisé par Simone, deux interprétations a cappella placées au début et à la fin de cet album, Dominique Fils-Aimé évoque la trajectoire des esclaves d’Afrique jusqu’en Amérique. Un thème ici associé simplement à la couleur du blues, la musique de « l’histoire de ces gens, de leur misère. C’est mon interprétation d’une période de l’histoire durant laquelle nous n’étions pas libres », dit la musicienne fière de ses racines haïtiennes.
« Avec ce projet, je me permets d’explorer ma propre liberté ; c’est cette phrase de [la poète afro-américaine] Maya Angelou qui m’a inspirée : “I am the dream and the hope of the slave” », puissante chute de son célèbre texte Still I Rise. Être née il y a un siècle seulement, ajoute-t-elle, « moi, j’aurais pu être une esclave. Mais, wow ! Je suis libre ! »
Et elle s’offre toutes les libertés pour s’assurer que son travail trouve un sens. La démarche, à cet égard, a débuté il y a cinq ans. Dominique Fils-Aimé travaillait alors pour de grosses entreprises, aux ressources humaines, département du soutien psychologique aux employés, soyons précis. « J’ai décidé de changer de route complètement parce que je crois que la musique peut aider les gens, mieux encore que les systèmes d’assurances mis en place dans ces sociétés. »
Parcours atypique
Partie en congé sabbatique, elle a exploré sa musique, « tout doucement. Je pensais alors monter des ateliers pour les enfants. À la place, des groupes sont venus me chercher pour chanter avec eux. »
Puis elle s’est inscrite à La voix, édition 2015, où elle a fait bonne figure. Un premier microalbum paraît cette année-là (The Red EP), puis encore l’appel de la liberté, trouvé notamment auprès du compositeur électronique et DJ Ohm Hourani, sur les scènes du festival MUTEK, au Festival de jazz de Montreux. « C’est passé un peu inaperçu après La voix, raconte-t-elle. Mais ça m’a permis de m’éloigner des projecteurs. Je voulais créer, et c’est ce qu’on a fait, avec Ohm. Ça m’a permis de trouver mon côté explorateur. »
Nameless est l’étrange fruit de ce parcours atypique. Un premier chapitre où son orchestre de musiciens jazz joue avec retenue des compositions qui évoquent le blues que sa soeur lui faisait écouter plus jeune, le gospel, « les chants des plantations, la nuit, le déracinement », précise-t-elle.
Ce sera le coeur du répertoire qu’elle présentera mercredi soir au Centre Phi. Les deux autres albums du triptyque sont déjà presque tous composés et conceptualisés. Le suivant sera rouge, avance Dominique Fils-Aimé : « La couleur de la révolte, et celle aussi de la femme qui prend sa place sur la scène musicale », la couleur qu’elle associe plus franchement à l’âge d’or du jazz, « mais que je proposerai avec des touches de soul et de R&B », prévient-elle. Ses musiciens n’auront plus à suivre la consigne du silence, devine-t-on ; le rouge pour un orchestre débridé.
Enfin, la couleur jaune, moderne, énergique et pleine d’espoir, « avec ses chansons dansantes, plus funk, probablement plus électroniques dans leur facture, mais tout en restant chaleureuses ». Elle promet d’offrir ces albums très bientôt ; nous garderons l’oeil ouvert.