Les paroles écorchées de David Fray

Dans sa série « Complètement piano », le Fondation Arte Musica faisait revenir dans la métropole David Fray, dont la biographie dans la notice aurait pu être aménagée pour rappeler son 2e prix au Concours musical international de Montréal en 2004, qui marqua le début de sa carrière.
Nous sommes toujours heureux de revoir David Fray, notamment dans le répertoire, tendu, choisi pour ce récital. Son âme romantique le prédestine à ces partitions de clair-obscur, et c’est d’ailleurs en clair-obscur qu’il construit son Mozart entre plongées dans les abîmes et scintillances, l’Adagio de la Sonate K. 457 étant très frappant à cet égard.
David Fray est à l’évidence un pianiste fascinant à suivre en concert, car son toucher tient du grand art. Il le montre dès la sombre Fantaisie K. 475. Juste avant l’ultime résurgence du portique d’entrée, il la vide quasiment de sa substance sonore en un passage quasiment exsangue. C’est la parole d’un Mozart écorché vif.
Avec autorité, David Fray enchaîne, comme il se devrait, la Fantaisie et la Sonate : une plongée dans le tragique do mineur. La constante et la problématique de la partie Mozart du concert de David Fray est sa conception de la résonance. Son Mozart fait un usage important de la pédale pour viser un tuilage des sonorités. Mais dans le 3e mouvement de la Sonate sur les accords, l’effet d’accumulation est tel que plane de manière lancinante une vibration métallique généralisée de la caisse du piano.
Le piano moderne
À ce stade se pose au critique la question d’évaluer un pianiste qui, à Bourgie, dans un programme Mozart-Schubert, choisit sciemment de laisser dans les coulisses le piano Érard de 1858, ses aigus cristallins, pour aller s’empêtrer sur scène dans cette métallisation-là. On imagine David Fray rassuré par la mécanique moderne. Mais elle a montré ses limites, même si la finesse du jeu n’est aucunement en cause.
Il m’aurait intéressé, pour le plaisir intellectuel et sensoriel, de voir couplés, attacca, après la pause, le Rondo en la, K. 511, de Mozart et la Sonate D 959 de Schubert, tant le premier met la table (du moins dans la vision de désespoir intérieur qu’en a le musicologue Robert Levin) pour la seconde, ce que l’interruption par un entracte fait un peu oublier.
Comme Kystian Zimerman récemment, David Fray a une vision très « agitato » du volet initial de la sonate de Schubert. Schubert n’y abandonne jamais. On retrouve dans la traduction du pianiste français un second volet très « Wanderer » (promeneur solitaire), une pérégrination comme on la retrouve dans le mouvement lent de la 9e symphonie. En tout cas, David Fray n’en surjoue pas le tragique.
Dans les mouvements 1 et 4, la main droite de David Fray ne répondait pas toujours idéalement, mercredi, et le début de la coda fut périlleux. Le pianiste remercia le public pour sa tolérance en jouant le Nocturne op. 9 no 2 de Chopin en rappel. Sans le poids de l’enjeu du drame mozartien et schubertien sur les épaules, David Fray se tenait droit et le piano rayonnait tout autrement. Cette libération s’entendait et se dégustait.