Kohlenstoff A/V Experience au Centre Phi: bien assis pour un voyage vers l’inconnu

La belle soirée au Centre Phi organisée par les artisans du collectif Kohlenstoff brillait cachée dans la programmation grand public du festival Montréal en lumière. Tiens ! Du risque, de la recherche, de l’inconnu, entre les concerts de pop, de musiques du monde et de musique classique. Une invitation aux fêtes hivernales populaires qui bénéficie aux deux parties, donnant de la profondeur à l’offre musicale du festival et attirant l’attention sur les créateurs de musique électroacoustique, électronique et d’avant-garde.
Avant le début de la première des cinq performances de la soirée, les organisateurs faisaient le même constat : ils ont manqué de chaises. La salle du rez-de-chaussée du Centre Phi était bondée pour découvrir le travail des artisans du collectif (et de la maison de disques) qui ont présenté des oeuvres audiovisuelles disparates et parfois rugueuses. Une première partie constituée de trois performances, celles de Maxime Corbeil-Perron, de Line Katcho (le moment fort de la soirée) puis du duo Jean-François Blouin/Félix Gourd, suivi, après l’entracte, des performances, plus improvisées, du duo Jane/Kin et du collectif Folkinstock.
Le compositeur et artiste audiovisuel Maxime Corbeil-Perron a ouvert les hostilités, pour ainsi dire, avec une nouvelle version de sa décharge Imaginary Optics, pour laquelle les lunettes polarisées étaient distribuées aux spectateurs. Fond sonore massif et granulaire mettant la table, projections en trois dimensions étalant des formes géométriques mouvantes au rythme de sèches et frénétiques pulsions. Un assaut pour la vue et l’ouïe que l’artiste ira bientôt présenter en Grande-Bretagne et en Suède.
En comparaison, la composition (sans titre) de Line Katcho passait pour une petite douceur, même dans lors du chaotique crescendo. Elle use de drones (bourdons), mais les revêt d’harmonies ; il y a même un rythme auquel on s’accroche, une ligne mélodique qui revient constamment, comme un leitmotiv. Les images, parfaitement en phase avec le son qui se répand, prennent racine dans un paysage de dunes, un visage, et se transforment de manière presque organique sur l’écran. Superbe, nuancée et maîtrisée, admirable pour sa cohérence entre le mouvement des images et du son.
Ensuite, place au compositeur Jean-François Blouin et à son collègue vidéaste Félix Gourd, qui ont ramené l’ambiance aux cliquetis mécaniques rehaussés par la mise en abîme des projections vidéo. Proposition minimaliste, des cercles en blanc sur noir qui donnent l’illusion qu’on avance dans un long tunnel encombré de formes mobiles. Austère mais ingénieux, totalement abstrait.
Un entracte pour décanter tout ça, et on passe à la suite, plus instinctive. Le duo Jane/Kin formé des compositrices et interprètes Ida Toninato (voix, saxophones et manipulations en direct) et Ana Dall’Ara-Majek (aux instruments électroniques) a offert la performance la plus déstabilisante de la soirée, et ce, en bonne partie grâce aux images parfois kitsch de Tim Rice, qui semblaient aller dans une direction opposée aux épanchements sonores des deux musiciennes. Intrigant décalage entre ce survol de Montréal par l’entremise de Google Earth et la fusion entre le traitement électronique et le souffle du saxophone !
Enfin, Katcho, Corbeil-Perron, Blouin, Morin, l’artiste audiovisuel Guillaume Cliche et le cinéaste-projectionniste Karl Lemieux (accompagné de ses cinq projecteurs 16 mm) ont terminé la soirée avec une oeuvre chorale inédite sous l’appellation Folkinstock. Heure de tombée oblige, nous n’aurons pas assez profité de leurs denses et nerveux paysages sonores, non plus des manipulations de pellicule de Lemieux. Raison de plus pour prendre le risque d’assister à la prochaine soirée Kohlenstoff, en prenant soin d’arriver assez tôt pour s’assurer d’avoir une chaise.