Yannick Nézet-Séguin et Lisa Batiashvili, musiciens complices

En vente depuis vendredi dernier au Canada, le nouveau disque de Yannick Nézet-Séguin chez Deutsche Grammophon nous permet de découvrir un partenariat avec une soliste au fort tempérament, la violoniste géorgienne Lisa Batiashvili.

Le CD Visions of Prokofiev est le cinquième enregistré par Lisa Batiashvili pour Deutsche Grammophon. Le label jaune a déroulé le tapis rouge à la Géorgienne après l’avoir ravie à Sony Classical, en lui offrant des partenariats avec Esa-Pekka Salonen dans Chostakovitch, Christian Thielemann dans Brahms et Daniel Barenboïm dans Tchaïkovski et Sibelius.
Ce n’est pas faire preuve de chauvinisme que d’avancer qu’il se passe infiniment plus de choses dans les concertos de Prokofiev entre Lisa Batiashvili et Yannick Nézet-Séguin que dans celui de Tchaïkovski avec le trop placide et esthétisant Daniel Barenboïm. Il suffit d’écouter la complicité et l’émulation entre violon et orchestre dans le Scherzo du 1er Concerto pour comprendre le bénéfice musical de cette complicité.
L’archet incandescent
Visions of Prokofiev comprend les deux Concertos pour violon, couplés à trois arrangements pour violon et orchestre de « tubes » de l’oeuvre de Prokofiev : la Danse des chevaliers de Roméo et Juliette, la Grande valse de Cendrillon et la Marche de L’amour des trois oranges.
Lisa Batiashvili montre qu’elle mérite pleinement sa place au sommet de la hiérarchie des violonistes vedettes de notre temps et n’usurpe pas sa place dans le prestigieux catalogue Deutsche Grammophon. Conduite de l’archet et grain sonore sont en tous points somptueux et les concertos de Prokofiev sont le terrain d’élection pour démontrer cela. Il y a surtout l’intensité du son et de l’appui qui la différencient des très nombreuses violonistes que l’on voit émerger de toutes parts — Janine Jansen et Julia Fischer sont d’autres notables exceptions.
La complicité de Yannick Nézet-Séguin avec l’ardent Orchestre de chambre d’Europe fait le reste et rend l’encadrement orchestral passionnant, d’autant que la captation sonore, surtout celle du 2e Concerto et des compléments, réalisée à Toulouse en février 2017 est très impressionnante, car très détaillée. Le 1er Concerto, enregistré en Allemagne en 2015, est un peu plus réverbéré et moins riche en graves, mais il faut y prêter une attention particulière pour s’en rendre compte.
Très beau disque, qui succède dans le même catalogue à Shaham-Previn et affronte crânement les deux références modernes Ehnes-Noseda (Chandos) et Gluzman-Järvi (BIS). Référence historique : Nathan Milstein, avec Giulini (Concerto n° 1) et Frühbeck de Burgos (n° 2) chez EMI.