Georges Moustaki au Théâtre Outremont - Liberté retrouvée

Bon signe, il est arrivé sur la scène de l'Outremont en complet noir. Déjà, ça rafraîchissaîtle portrait. En 1999 au Corona, ma dernière fois en présence du gaillard, il s'était présenté comme toutes les fois d'avant, à savoir: blanc immaculé de la barbe aux pieds, figé dans son costume officiel de gourou de pastorale babacool depuis Le Métèque, créé trente ans plus tôt. Il avait égréné ses immortelles comme un chapelet, ou plutôt comme un Raël de la chanson française devant ses ouailles. Spectacle honnête, personnage d'un autre temps.

Hier, dans son habit noir, il était comme neuf. Portant son âge —- bientôt 70 ans — en toute dignité. Cela se voyait et cela s'entendait: il avait en effet apporté dans sa besace les nouvelles chansons de son très bel album éponyme de 2003 (frais sorti chez nous). Il en a joyeusement parsemé son spectacle, un peu comme on saupoudre du Comet sur un plancher. Quand il jouait une de ces nouveautés, la très belle et triste Petit testament ou la pimpante Quand j'étais un voyou, permettez l'image, ça décrassait tout le vert-de-gris autour, et les immortelles — Le Temps de vivre, Ma liberté, Ma solitude, bien espacées — resplendissaient d'autant, pour ainsi dire rajeunies par association. «Pourtant je vis toujours / Pourtant je fais l'amour / Il m'arrive encore de chanter», affirmait l'ancien compagnon de Piaf: hier, on le croyait.

Hier, Moustaki n'était pas que la courroie de transmission du souvenir, pas qu'une machine distributrice de refrains aimés: il était interprète enjoué et musicien allumé. Au présent du plaisir. À la guitare, au piano, à l'accordéon, il menait prestement l'orchestre, s'offrait moult solos et, dans la pièce d'inspiration brésilienne Bahia de San Salvador, s'est même payé une sorte de duel avec le batteur. L'auditoire a applaudi en conséquence: ce n'était pas de simples remerciements pour services rendus, mais l'usufruit d'une véritable performance. Ce Moustaki n'amassait pas mousse, et on lui faisait savoir qu'on le savait.

À un moment, l'homme s'est mis à causer écureuils. «Un ami d'Outremont m'a dit qu'il y a beaucoup d'écureuils dans le quartier...» Animal exotique pour l'enfant d'Alexandrie qu'il fut — né Yussef Mustacchi le 3 mai 1944, faut-il rappeler—, le rongeur lui inspira un jour une chanson, qu'il donna à Henri Salvador. Chanson oubliée pendant un demi-siècle, surgie hier après-midi en répétition: pas gêné, Moustaki l'a insérée dans le spectacle. Elle était jolie, la ritournelle. «Il n'y a plus d'amandes / Les écureuils ont tout mangé...» L'homme était tout sourire après la chanson. Souriant comme un homme qui venait d'éprouver sa liberté. Ce qui ne l'a sûrement pas empêché de chanter ses autres immortelles après mon départ. Pendant que j'écris, c'est sûr, il refait Le Métèque pour la dix-millième fois. La liberté ne vaudrait rien autrement. Jusqu'à dimanche.

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