Une «Tosca» maudite devenue magique

La production de Tosca de Puccini diffusée dans les cinémas samedi, en direct de New York, revient de très loin.
Initialement, les spectateurs devaient voir dans la fosse Andris Nelsons diriger son épouse Kristine Opolais, entourée de Jonas Kaufmann et de Bryn Terfel. Après le désistement d’Andris Nelsons, le Met avait demandé à James Levine d’assurer la direction de ce spectacle prenant l’affiche le 31 décembre 2017. Imaginez la panique à bord lorsque s’est déclarée l’affaire Levine !
Quatre remplaçants, dont un « remplaçant de remplaçant », étaient réunis, samedi, pour une forme de miracle, résumé par une instruction simple du metteur en scène David McVicar à Sonya Yoncheva (Tosca) et Vittorio Grigolo (Cavaradossi) et que l’on peut résumer par : « Vous êtes jeunes et idéalistes : battez-vous ! » Cette fièvre au combat a transparu sur scène et devant les caméras de Gary Halvorson et on ne saurait suffisamment encourager les amateurs d’opéra d’aller se renseigner sur les horaires des rediffusions.
Jouer pour la caméra ?
On encouragera ces mêmes mélomanes à prêter une oreille attentive à un acteur plus discret de la réussite : le chef français Emmanuel Villaume. Je ne vois vraiment pas par quel sortilège Nelsons ou Levine auraient pu faire mieux que cette direction-là, l’une des plus intéressantes qu’il m’ait été donné d’entendre, en matière de coloris subtils et de soulignements dramatiques par des tempos contrastés.
La divine Sonia Yoncheva, qui développe l’habitude de faire ses prises de rôle au Met (Desdémone, Mimi, Tosca), ce à quoi son infini talent l’autorise, a brillé presque autant que dans Traviata. Grigolo a compensé par un enthousiasme débordant les petits détails trahissant sa prise de rôle, s’est mis en péril en voulant trop en faire dans « E lucevan le stelle ». Superbe d’autorité, Zeljko Lučić, admirable acteur, a semblé défavorisé par les micros dans l’acte I : sa voix porte mieux que cela.
Une nouveauté étrange est apparue dans le filmage : une caméra côté jardin donnant la sensation pour la première fois de voir les chanteurs (Yoncheva et Lučić dès l’acte 1) « jouer pour la caméra ». Si c’est aussi prémédité qu’il y paraît, c’est artificiel et peu heureux…
Le spectacle de David McVicar, dans des décors et costumes somptueux de John MacFarlane, est un mea culpa du Met pour faire oublier la Tosca de Luc Bondy (2009) tant haïe à New York. Interrogé à l’entracte, Zeljko Lučić a glorifié McVicar et « le retour aux riches heures de la grande tradition opératique des années 1960 ». C’est ça l’image de marque du Met, qui a bien du mal à en sortir. Curieux de voir ce que Yannick Nézet-Séguin va faire de cela…