Krzysztof Penderecki, de la modernité au mysticisme

À l’aube de ses 85 ans, Krzysztof Penderecki a entrepris, avec le Chœur et l’Orchestre philharmoniques de Varsovie, une anthologie discographique de ses œuvres pour Warner Classics.
Photo: Janek Skarzynski Agence France-Presse À l’aube de ses 85 ans, Krzysztof Penderecki a entrepris, avec le Chœur et l’Orchestre philharmoniques de Varsovie, une anthologie discographique de ses œuvres pour Warner Classics.

Le vendredi 20 juillet 2018 sera une date majeure de l’histoire de l’Orchestre symphonique de Montréal, appelé à ouvrir le Festival de Salzbourg avec La Passion selon saint Luc du compositeur Krzysztof Penderecki, honoré par le festival pour ses 85 ans.

À l’aube de ses 85 ans, Krzysztof Penderecki a entrepris, avec le Choeur et l’Orchestre philharmoniques de Varsovie, une anthologie discographique de ses oeuvres pour Warner Classics. Les deux premiers volumes qui viennent de paraître nous éclairent sur le parcours du compositeur. Une trajectoire moins radicale que celle d’Arvo Pärt, mais allant, philosophiquement, dans la même direction.

Du radicalisme à la piété

Je me souviens comme si c’était hier de mon premier contact avec la musique de Penderecki : Threnos à la mémoire des victimes d’Hiroshima. Le titre m’avait fasciné, et le microsillon EMI, paru alors que j’étais adolescent, avait été distingué par la presse spécialisée. N’étant pas du genre à abandonner facilement, je m’étais entêté à chercher dans ses aspérités et sonorités étranges ce qui en faisait le génie. L’effrayante image de couverture du coffret de l’opéra Les diables de Loudun, que je louais ensuite à la bibliothèque, sans davantage en percer les mystères, achevait toutefois de me convaincre que ce compositeur avait un rapport tout à fait singulier avec la mort.

Me voici 40 ans plus tard à présenter le concert de l’OSM à Salzbourg et à commenter le volume 1 de la nouvelle anthologie Penderecki de Warner Classics. La Passion selon saint Luc d’un côté, Dies Illa pour trois solistes, choeur et orchestre (2014) de l’autre. Comme si rien n’avait changé…

Et pourtant, tout a changé. Des années 1960 jusqu’à la fin des années 1970, Penderecki est un compositeur de la recherche de l’inouï et de la radicalité, une sorte de Ligeti polonais. De Natura Sonoris I, qui accompagnait Threnos dans le disque précité, le montre bien. Pourtant, dès cette période « radicale », l’inspiration religieuse est déjà très présente. D’ailleurs La Passion selon saint Luc date de 1966, l’époque, quasiment, des Diables de Loudun (1969).

À partir des années 1980, Penderecki ne va pas se sentir obligé d’être moderne ; il va être lui même, sans appauvrir sa musique, mais en la rendant plus accessible.

À mes yeux, l’un des chefs-d’oeuvre de Penderecki est sa 7e Symphonie,« Les 7 portes de Jérusalem », créée par Lorin Maazel et l’Orchestre symphonie de la Radio bavaroise à Jérusalem en 1996. Maintenant que Kent Nagano est devenu un avocat de la cause pendereckienne, aussi sincèrement militant que l’était Charles Dutoit, il serait fort intéressant de pouvoir entendre cette symphonie à Montréal lors de la prochaine saison.

Penderecki à travers la voix


La musique religieuse est le chemin le plus direct permettant de saisir l’évolution du parcours et du langage de Krzysztof Penderecki. De ce point de vue, le volume 2 de l’anthologie « Penderecki Conducts Penderecki », que le compositeur enregistre à Varsovie pour Warner, est fort instructif.

Sous le titre Choral Music, le double album regroupe des oeuvres chorales a cappella balayant toutes les époques créatrices. Le parcours du premier des deux CD étant plus ou moins chronologique, un saut de la plage 1 (Stabat Mater, 1962), à la plage 5 (Veni Creator, 1987), puis à la plage 8 (Quid Sum Miser, 2014) permet d’appréhender les mutations du contexte harmonique, la fin de l’expérimentation, le cheminement vers la consonance et une sorte de « post-Poulenc et post-Britten » vers lequel tendent finalement plusieurs compositeurs contemporains.

L’auditeur notera que les quatre premières plages sont les quatre choeurs a cappella de La Passion selon saint Luc. D’ailleurs, l’introduction de choeurs a cappella dans de vastes oeuvres symphoniques ou chorales à grand déploiement est un procédé utilisé par Penderecki dans plusieurs compositions (dont Les 7 portes de Jérusalem), le compositeur forçant ainsi chez l’auditeur un moment de réflexion.


Le volume 1 de Penderecki Conducts Penderecki, qui mobilise choeur et orchestre, ne comprend qu’un disque et nous révèle le Dies Illa de 2014, composition magistrale et fascinante d’un peu plus de 20 minutes. Si j’ai fait référence à la 7e Symphonie, c’est aussi parce que le Dies Illa, dès le Liber Scriptus, en adopte quelques effets et procédés sonores.

Le disque est complété par deux Hymnes de 1987 et les quatre Psaumes de David de 1958.

 

Il est très intéressant de voir que Penderecki ne rejette nullement ses oeuvres les plus arides et exigeantes de son lointain passé expérimental, qui surprendront ses auditeurs d’aujourd’hui. Le Psaume XXVIII montre que Penderecki le moderniste était sacrément doué, lui aussi, le Psaume XXX étant cependant un presque gênant décalque des Noces de Stravinski !

Impossible de conclure cette petite présentation sans faire mention de la collection discographique très large et exemplaire consacrée à Penderecki par Naxos et le chef Antoni Wit. C’est vers Wit que se tourneront les mélomanes qui veulent faire connaissance avec La Passion selon saint Luc que l’OSM présentera à Salzbourg cet été.

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