Johnny Hallyday 1943-2017: le dernier roi du rock français s'éteint

Johnny Hallyday, véritable monstre du rock français, est mort dans la nuit de mardi à mercredi à 74 ans, des suites d’un cancer du poumon.
Photo: Jacques Grenier Archives Le Devoir Johnny Hallyday, véritable monstre du rock français, est mort dans la nuit de mardi à mercredi à 74 ans, des suites d’un cancer du poumon.

Le rockeur français Johnny Hallyday est mort dans la nuit de mardi à mercredi à 74 ans, des suites d’un cancer du poumon, a annoncé tard mardi à l’AFP son épouse Læticia. « Johnny Hallyday est parti. J’écris ces mots sans y croire. Et pourtant c’est bien cela. Mon homme n’est plus. Il nous quitte cette nuit comme il aura vécu tout au long de sa vie, avec courage et dignité », écrit-elle dans un communiqué. Détecté dans les poumons de la star en novembre 2016, le cancer aura terrassé en un an celui que tous ses admirateurs croyaient invincible. Depuis, les témoignages émus affluent.

Johnny est parti. Mon dernier roi du rock n’est plus. Le fan en moi savait que c’était imminent, on le savait tous depuis l’annonce prématurée de la semaine dernière, mais on ne voulait pas, sans doute par respect, le compter pour mort avant que ça arrive. On le soutenait, de près ou de loin, son épouse Laeticia, leurs filles Jade et Joy (sans oublier David Hallyday, fils de Sylvie Vartan, et Laura Smet, fille de Nathalie Baye), sa cohorte d’amis, nous tous. Le Johnny adulé depuis 1960 par des millions d’admirateurs de tous âges en France, en Europe et jusqu’ici, Johnny Hallyday l’indestructible, le survivant, le gagnant de tant de batailles, le chanteur le plus immensément populaire, le plus célébré de la francophonie, est tombé au combat, dans la nuit de mardi à mercredi, chez lui. Le cancer des poumons a mené et gagné le dernier assaut.

Quand je l’ai rencontré pour la dernière fois en février 2012, on avait d’abord parlé de la mort, ça me revient en tête : à l’époque, une opération bâclée à Los Angeles avait bien failli l’emporter. Je lui avais lancé : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, c’est vrai ça ? » Il avait répondu en souriant de son incroyable sourire, le même sourire qu’il servit à sa « marraine » Line Renaud lors de son tout premier passage à la télévision : « C’est vrai ! Quand on s’en sort ! » On avait tous ri fort dans la loge. Il était ce soir-là l’invité vedette de Star Académie.

Expliquer Johnny

 

Pour cette émission, Julie Snyder m’avait demandé d’écrire une minibiographie en narration d’un film de montage, non seulement pour le présenter, mais pour « expliquer » Johnny au Québec. Trouver les mots qui donneraient la mesure de sa démesure, et qui diraient pourquoi « on a tous quelque chose en nous de Tennessee », comme disait la chanson écrite pour lui par Michel Berger. Et pourquoi tant de gens ont en eux quelque chose de Johnny aussi. Le montage, avec mes mots dits par Julie, fut montré à l’auditoire et à la télévision en présence de Johnny, qui se tenait prêt à chanter le premier de deux medleys. J’avoue : j’étais drôlement content — fier ! — qu’il voie et entende ça. Je l’avais interviewé souvent, vu en spectacle encore plus souvent (la première fois en 1975 à la Place des Nations, une bonne dizaine de fois ensuite), mais mon grand moment Johnny, c’était ça.

Permettez-moi d’en reprendre le verbatim. J’ai écrit beaucoup à propos de lui en 27 ans de journalisme musical, mais cette fois-là, j’avais tout mis. « Il a vu le jour dans Paris occupé par l’Allemagne nazie le 15 juin 1943, et comme il le dit dans la chanson Je suis né dans la rue, il s’appelle Jean-Philippe Smet, mais on le “connaît mieux sous le nom de… Johnny”. Il est né “en mode survie”, et c’est encore un survivant aujourd’hui. Il a été le démon blond du rock’n’roll en France et il a donné “envie d’avoir envie” [citation de chanson] à toute une génération. Il s’est réinventé cent fois et il a survécu à toutes les modes, il a été twist, yé-yé, soul man, hippie, biker, il a même été Hamlet et il a joué au cinéma pour Godard [Détective] et Costa-Gavras [Conseil de famille], mais surtout, surtout, il n’a jamais cessé d’être Johnny, le gars pour qui on craque lorsqu’il sourit.

Il a survécu à des accidents d’auto, des mariages et des divorces, à une tentative de suicide, à une opération ratée, à 180 tournées où il a tellement toujours tout donné qu’il lui est arrivé de sortir de scène sur une civière, il a survécu à sa propre démesure et à toutes les caricatures et même à sa marionnette des Guignols de l’info. Il a enregistré mille chansons qui ne sont pas toutes aussi formidables que Les portes du pénitencier, Noir c’est noir, Que je t’aime, Ma gueule ou Quelque chose de Tennessee, mais il les a toutes chantées avec cette voix fabuleuse qu’il a, et il y a dans presque chacune un moment où il pousse la note et cette note-là, oh, cette note-là, elle nous a.

On ne l’a pas vu assez souvent au Québec pour que ça se sache comme ça devrait, mais il est depuis plus de cinquante ans le plus grand showman de France, et parfois même, certains soirs, le meilleur du monde entier. Le 10 juillet prochain, il va s’emparer des Plaines en vedette du Festival d’été, et enfin, enfin, on va être des milliers et des milliers à hurler : Johnnyyyyyyyyy !!!!

Mesdames et messieurs… Johnny Hallyday. »

Et puis Johnny arriva, sur une passerelle qui avança et surplomba le public. Il commença par Allumer le feu. J’étais au premier rang et c’était géant. Comme toutes les autres fois. Les trois soirs de suite au Saint-Denis en 2000, les deux soirs au Centre Bell et la grande fois sur les Plaines (en 2012). Et le spectacle de ses 50 ans à La Rochelle. À Lyon dans le stade Gerland où tout le monde chantait toutes les chansons avec lui. Et son showcase en anglais à Cannes, au temps de l’album Rough Town, où j’étais avec André Ménard, celui du Festival de jazz de Montréal, grand fan lui aussi. Les autres passages au Québec, c’était dans les années 1960, à la Place des Arts, au Centre Paul-Sauvé. Au Colisée de Québec aussi. Je mentionne tous ces spectacles parce que Johnny Hallyday vivait pour la scène. Même affaibli par la maladie l’été dernier, il aura réussi à se rendre au bout de la tournée des « vieilles canailles », en compagnie de Jacques Dutronc et Eddy Mitchell.

Évoquer Johnny avec Eddy Mitchell, Isabelle Boulay

 

Mardi de la semaine dernière, j’avais Eddy Mitchell au bout du fil, pour parler de son nouvel album La même tribu volume 1 : on avait évoqué Johnny, forcément. Soixante ans d’amitié, ça compte. D’autant que Johnny chante avec Eddy sur ce disque de duos, le temps de reprendre C’est un rocker. Commentaire de l’ami, l’ado des années 1950 au square de la Trinité, puis le jeune homme du Golf Drouot, lieu de naissance du rock en France : « On est demi-frères, d’abord. Et je suis l’aîné, hé, faut pas l’oublier, j’ai un an de plus. C’est moi qui donne des leçons ! Je plaisante. Je dis simplement que Johnny et moi, on est complètement différents et complémentaires. C’est-à-dire que Johnny a survécu à toutes ses métamorphoses. Il se la jouait Clyde Barrow de Bonnie and Clyde, devenait hippie, se transformait en Mad Max, et chaque fois ça marchait. C’est ça qui est fabuleux. Moi, ça, j’ai jamais su faire. C’est un battant. C’est quelqu’un qui a une force herculéenne envers la vie, et qui est pour moi un Elvis Presley. Il est encore plus fort que Presley parce qu’il a eu la force de durer. »

Avec Isabelle Boulay, rencontrée ce lundi dans son atelier en vue de sa prochaine tournée québécoise, on avait aussi Johnny près du coeur. Elle a chanté souvent avec lui, j’en retiens la splendide ballade Tout au bout de nos peines. « Je peux pas croire. Je l’ai vu tellement de fois se relever, il avait toujours des vies en réserve. M’arrêter là, Rester vivant, il a si souvent chanté sa volonté de vivre. Je ne peux pas imaginer le perdre. » Moi non plus. J’avais sept ans quand il me chantait le thème du feuilleton télé Les chevaliers du ciel, aventures des aviateurs Tanguy et Laverdure, adaptation de la bande dessinée. Je l’entends encore me la chanter : « Les chevaliers du ciel/Pensent parfois à ce jouur/Où ils verront leurs ailes/Se plier pour toujours ». Salut Johnny. Tu auras été mon dernier roi du rock’n’roll.

Les réactions affluent au Québec à l’annonce du décès de Johnny Hallyday

Les réactions ont afflué à travers le monde à l’annonce du décès du chanteur Johnny Hallyday, y compris au sein de la communauté musicale québécoise. Pour le chroniqueur culturel de longue date Michel Girouard, c’est une page d’histoire qui s’est tournée mardi. « C’est la mort d’un monument, il n’y en a plus de monument comme ça et il n’y en aura plus », a déclaré M. Girouard en entrevue à La Presse canadienne. M. Girouard affirme que « Johnny », qui a vendu plus de 110 millions d’albums, est un phénomène unique au sein « de la chanson rock et populaire dans la francophonie ». La productrice et animatrice Julie Snyder s’est dite « sous le choc » d’apprendre la disparition de l’homme qu’elle a aussi qualifié de « monument de la chanson » et du « plus grand rockeur français ».« Johnny Hallyday fait partie des gens que l’on pense immortels, parce que ce sont des forces de la nature », a témoigné à La Presse canadienne Mme Snyder, qui a produit la dernière tournée du chanteur à Montréal. L’ancien directeur du Festival d’été de Québec, Daniel Gélinas, se souvient de tournées « incroyables » de Johnny Hallyday dans les années 1990 et 2000, dont les spectacles étaient dignes de groupes tels que Pink Floyd. Daniel Gélinas n’a pu s’empêcher d’imaginer l’ampleur du deuil qui attend la France, puisque, selon lui, « tout le monde se retrouvait dans ce gars-là », incluant la « classe intellectuelle française ».

La Presse canadienne



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