«La grande réunion autour du feu» au MTelus: se retrouver pour mieux reconstruire

Octobre s’en vient. Le premier groupe québécois que j’ai vu en spectacle, à 14 ans. Octobre va exister là, ce lundi soir, sur la scène du MTelus (oui, le Métropolis). Dans quelques minutes. J’en reviens pas. Je me pince. J’en oublie d’écouter les ministres qui viennent soutenir la cause, avec des bons mots et des chèques.
« Heille ! » s’exclame Alan Côté. « Le groupe Octobre ! » Sacré Alan ! Il est comme moi (et quelques autres dans la salle), tripeux irrépressible : il ne pense plus qu’à Octobre réuni. Vingt-et-un ans après les dernières retrouvailles, je ne sais plus combien d’années après la dissolution du groupe mythique de la chanson prog-rock québécoise : on n’en revient pas que ça se puisse, en 2017.
Alan Côté est quand même là d’abord parce que c’est son Théâtre de la Vieille Forge qui a brûlé, parce que ça prend beaucoup d’argent pour la reconstruction et qu’il n’est pas question que son Festival en chanson de Petite-Vallée ne vive pas d’autres décennies glorieuses et joyeuses et grégaires au bord de la mer. C’est bien pour ça qu’à l’affiche exceptionnelle de cette soirée-bénéfice, il y a Octobre, et Michel Rivard avec son Flybin Band, et Marie-Pierre Arthur, et Karkwa. Tout ce spectacle, c’est pour la suite du monde et de Petite-Vallée. Ce qui n’empêche pas Alan Côté de penser Octobre, Octobre, Oc-to-bre. « Ma première fois, c’était au Cégep de Rimouski, j’étais en deuxième année… », évoque-t-il, ému et extatique à la fois.
La musique d’abord
C’est toute la beauté de cette soirée pas ordinaire, même pour un spectacle de collecte de fonds. C’est la musique qui est événementielle. Le centre de l’affaire. La raison d’être de tout. « Voici de grands acteurs de la survivance, le groupe Octobre ! » s’écrie le plus baraqué des directeurs de festival. Et les voilà. Les quatre d’origine : Pierre Flynn, Pierre Hébert, Jean Dorais, Mario Légaré. Oui, dès les premières notes, ça frappe massivement. Je suis ravi mais pas surpris : orgueil, perfectionnisme et formidable expertise conjugués, ça ne pouvait pas rater. Mais formidable à ce point ? C’est aussi la grâce des grands groupes. Un band, c’est un band. Ensemble, les gars retrouvent leurs marques, leurs repères, leur cohésion… et leur joie commune.
Faut voir Mario Légaré l’as bassiste jouir des arpèges de Jean Dorais le guitariste, celui qu’on a le moins revu (qui joue pour le plaisir avec des copains). Faut entendre Flynn mordre dans le mot « révolte » : il y a encore une saine colère en lui, avivée par l’occasion et ses complices du temps des révoltes. Pierre Hébert est encore une incroyable machine à roulements. Ces complexes tempos du prog émerveillent encore. Ça passe trop vite, évidemment : l’introduction de Survivance est trop brève, ils revisitent Les nouvelles terres. « Des voix qui t’appellent/Plus haut/Plus fort… » Ça fait penser au titre du documentaire de 2003 sur le Festival en chanson de Petite-Vallée : Chanter plus fort que la mer. On a décanté le slogan du mouvement autour de la reconstruction du Théâtre de la Vieille Forge : Chanter plus fort que le feu.
Et voilà déjà La maudite machine. LA chanson d’Octobre. La sainte colère de Flynn, amplifiée, décuplée par le jeu intense et collé serré des Légaré, Hébert, Daurais. Chanson aussi pertinente qu’en 1972, c’est un peu sacrant de le dire : oui, « la maudite machine, a marche en câline, faudrait la casser ». Faudrait chanter la chanson tous les jours, tiens ! Et si Octobre allait la faire résonner partout ? Alan leur organise une tournée demain, s’ils veulent.
Michel Rivard retrouve son Flybin Band
Comment dire ça honnêtement ? Ma soirée est faite. Ma boucle est bouclée. Les retrouvailles de Michel Rivard avec son Flybin Band n’en sont pas moins heureuses. C’est mine de rien l’un des groupes d’accompagnement les plus souples et parfaits qui soient. C’est comme les musiciens d’un James Taylor : tellement de bon goût, si exquis dans les rendus qu’on les entend moins. L’excellence, à ce niveau, semble presque normale.
Je note surtout le travail de réinvention dans les chansons de l’album Un trou dans les nuages : la chanson-titre, puis Je voudrais voir la mer (LA chanson de circonstance) trouvent dans le folk-rock du Flybin Band une qualité terrienne, deviennent plus tactiles. Pareil pour la récente Merci pour tout, pareil pour Méfiez-vous du grand amour. C’est la force tranquille du Flybin Band : faire entendre l’oeuvre de Rivard comme un beau grand tout. Oui, c’est moins l’émoi que pour Octobre, mais l’admiration est pareillement totale.
Marie-Pierre Arthur, enfant de Petite-Vallée
Louis-Jean Cormier, cousin d’Alan Côté, présente Marie-Pierre Arthur, qui a grandi à Petite-Vallée. On est dans la famille. On a aussi vu sa confiance grandir, de spectacle en spectacle ; Marie-Pierre a appris à prendre le centre de la scène, elle qui avait d’abord été bassiste accompagnatrice (pour Ariane Moffatt, notamment). Ça fait longtemps qu’on l’a entendue avec son band; elle aussi renoue avec son monde. Et on mesure : ces ambiances sont les siennes, ces rythmes ceux de son coeur, tout lui appartient. En deux titres, Cacher l’hiver et Encore là, le lieu est devenu sien.
Ce MacTalus, ce MTaloche, ce Machinquifinitenlus, ce Métropolis assujetti à une compagnie de téléphonie, c’est énervant ce nom qu’on ne peut prononcer, mais qu’importe l’appellation, constate-t-on : seul le show compte. Encore une fois, c’est la grâce de cette soirée : chacun des participants joue assez longtemps pour installer quelque chose. On est loin de la queue leu leu des soirées du genre, avec des chanteurs et chanteuses et un groupe maison pour tout le monde. La soirée Petite-Vallée se vit dans la souveraineté. Même si, à la fin du segment de Marie-Pierre Arthur, il y a Rivard et Cormier avec elle, le temps d’un moment acoustique autour d’un micro : ce sont pour ainsi dire ses invités. Et en même temps trois générations de chanson à Petite-Vallée : Le vent m’appelle par mon prénom. Instants d’éternité.
Délirer de bonheur pour Karkwa
Le maire Denis Coderre s’amène, sous les huées. Qui deviennent hourras quand il annonce la contribution de Montréal à la reconstruction : 50 000 $. S’ajoute la recette de la soirée : 100 000 $. La foule est plus que réjouie, mais rien n’égale la réaction à l’arrivée de Karkwa (présenté par Louis-José Houde). « Pour la première fois depuis 2011… » Oui, le plafond lève. Oui, c’est la grande communion. Oui, ces gens qui viennent d’ovationner Marie-Pierre Arthur sont là majoritairement pour « leur » Karkwa.
Avec François Lafontaine, Julien Sagot, Martin Lamontagne et Stéphane Bergeron, Louis-Jean Cormier redevient instantanément un « gars de band ». Où le résultat est plus grand que la somme des parties. Où le jeu d’ensemble l’emporte. Il faut le voir, Louis-Jean, tellement content qu’il en oublie des paroles dans Échapper au sort. Il savoure chaque instant, comme les autres gars de Karkwa, comme la foule. Tout le monde connaît et chante toutes les chansons, Les chemins de verre autant que Moi-léger, L’acouphène autant que Le bon sens, et ainsi de suite jusqu’à l’apothéose Oublie pas.
Ce n’est pas tous les jours qu’un spectacle nous donne les clés de l’histoire de la chanson québécoise. Ma dernière fois, c’était au Patriote de Sainte-Agathe, pour les 50 ans du lieu. Ce lundi au MTelus, d’Octobre à Karkwa, en passant par Michel Rivard et Marie-Pierre Arthur, le chemin aura été clairement balisé. D’où l’on vient, par où on est passés, par où la chanson continuera de passer. Oui, la clé passe-partout ouvrira le nouveau Théâtre de la Vieille Forge.