Arts flétris et efflorescence lyrique

Christina Pluhar et les siens ont démontré mercredi qu’ils restaient des maîtres du baroque savant.
Photo: Michael Uneffer Ruhrtriennal 2010 Christina Pluhar et les siens ont démontré mercredi qu’ils restaient des maîtres du baroque savant.

Deux concerts le même soir ? De la sorcellerie ? Non, simplement de l’esprit d’à-propos, eu égard au fait que le concert des Arts florissants débutait à 19 h 30 et celui de L’Arpeggiata, à 20 h, et à ce qui s’y est passé.

Rien n’était prémédité : Le Devoir avait prévu de couvrir simplement le concert Monteverdi des Arts florissants à la salle Bourgie. Mais, la cause y était entendue après 30 minutes, comme d’ailleurs déjà après 5 ou 10 minutes. « Ah lèvres, Ah baisers, Ah langue !… » (Madrigal Si Ch’io vorrei morire du livre IV) : en quoi avions-nous mérité de nous faire trompeter la plus haute sensualité à nous faire vriller les tympans par le timbre dur et réfrigérant de la soprano Miriam Allan ?

À quoi bon toute cette intelligente érudition dans l’introduction de Paul Agnew, cette projection réussie des paroles chantées, cette finesse dans l’imbrication des phrases et des timbres entre Paul Agnew, la basse Cyril Costanzo et la chaleureuse contralto Mélodie Ruvio, avec ces glaçons vocaux qui tombaient en face d’eux ? La musicalité n’est pas en cause, car les nuances y étaient, mais j’ai rarement entendu un tel manque d’adéquation entre un texte et des couleurs vocales et à l’intérieur d’un groupe.

Comme de tels paramètres sont intangibles, j’ai décidé dès la fin du livre IV que Madame Allan ne me ferait pas manquer le second concert de L’Arpeggiata.

Photo: Pascal Gely Paul Agnew

Hallelujah

Arrivé vers 20 h 20 à Saint-Pierre-Apôtre, le contraste était on ne peut plus fascinant. D’abord d’entendre le prolongement musical de la voie ouverte par Monteverdi à l’opéra avec, quatre décennies plus tard, une vraie efflorescence lyrique, soutenue par un ensemble instrumental fourni avec la « même » musique (ou presque) d’un créateur moins novateur, mais aussi inspiré, Luigi Rossi (1598-1653).

Mais sur scène nous avions une incandescence permanente. À l’opposé de Miriam Allen, Céline Scheen, timbre velouté, semble en permanence au bord de l’extase. La sainte Thérèse du Bernin n’est pas loin et l’on s’amusera à penser que ces mimiques sont historiquement fondées, puisque le Bernin a sculpté son chef-d’oeuvre entre 1647 et 1652 à Rome, alors que Rossi y était actif en 1642 !

Trêve de plaisanteries, Scheen a pour alliée sur scène la mezzo Giuseppina Bridelli, magnifique voix, elle aussi très incarnée, poignante dans un admirable et très élaboré Lamento d’Ariane. Qu’on est heureux d’avoir troqué celui de Monteverdi, à Bourgie, pour découvrir celui-ci, avec une chanteuse d’une pareille incandescence.

Au fur et à mesure du concert le propos s’est fait de plus en plus concentré. Si mardi L’Arpeggiata se lâchait totalement, Christina Pluhar et les siens ont démontré mercredi qu’ils restaient des maîtres du baroque savant, avant un bouquet final inattendu, un merveilleux hommage à la ville hôte : avec un Hallelujah de Leonard Cohen en apesanteur par le lumineux Vincenzo Capezzuto.

Des musiciens pas comme les autres, décidément. Ils ont aimé Montréal. Je pense qu’ils reviendront.

Les Arts florissants

Monteverdi : Madrigaux, extraits des livres IV, V et VI. Miriam Allan et Hannah Morrison (sopranos), Mélodie Ruvio (contralto), Sean Clayton et Paul Agnew (ténors), Cyril Costanzo (basse). Nanja Breedijk (harpe), Massimo Moscardo (luth), Florian Carré (clavecin). Salle Bourgie, mercredi 4 octobre 2017. Aussi : L’Arpeggiata. La Lyra d’Orfeo. Oeuvres vocales et instrumentales de Luigi Rossi (1598-1653). Céline Scheen (soprano), Giuseppina Bridelli (mezzo). Christina Pluhar (théorbe et direction). Église Saint-Pierre-Apôtre, mercredi 4 octobre 2017.

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