Déclencher de l’amour à travers la musique

Le chef d'orchestre Jean-Christophe Spinosi
Photo: Jean-Baptiste Millot Le chef d'orchestre Jean-Christophe Spinosi

Dans la semaine à venir, le Québec accueillera pour la seconde fois un chef d’orchestre pas comme les autres. Le chef français Jean-Christophe Spinosi vient diriger Les Violons du Roy au Palais Montcalm de Québec, jeudi, et à la Maison symphonique de Montréal, samedi. Sa soliste : notre trésor national, la mezzo-soprano Marie-Nicole Lemieux. Entretien.

« Hallucinant Spinosi ! » C’était le titre de notre compte rendu du premier concert donné par ce musicien au Québec en mai 2015. « La musique semble être pour lui la mise en vibration et en résonance d’un texte musical au diapason des émotions de la vie », écrivions-nous alors, « bouleversé », parce que nous pensions « que cette manière de faire de la musique appartenait à un passé révolu ; que personne n’oserait plus ».

« J’essaie d’y aller le coeur ouvert, en considérant que la musique, c’est de l’émotionnel et de l’amour et en arrivant au-devant des musiciens et du public complètement ouvert et tout nu. C’est un peu crétin de dire ça comme ça, mais je suis trop vieux pour essayer de faire simplement des “belles choses”. Je suis là pour partager des émotions. Parfois, ça marche et, là, ça a marché, parce que les musiciens étaient heureux de rentrer dans une musique que nous avons travaillée en cherchant un profond sens émotionnel et une dramaturgie », dit Jean-Christophe Spinosi au sujet de cette première expérience avec Les Violons du Roy.

Accueillir tous les humains

 

« Cela me fait plaisir que vous ayez ressenti que ce concert, bien ou mal, c’était du vrai, et c’était fort. Moi je n’ai pas trop changé, j’ai toujours été comme cela. » La compréhension envers l’art et la manière de Spinosi n’a pas toujours été au rendez-vous, ni par les musiciens ni par le public. « Il y a vingt ans, en France, ce n’était pas évident. La musique est tellement belle et tellement grande que beaucoup de musiciens professionnels, qui l’abordent avec humilité et respect, oublient que les gens ne sont pas tous les mêmes. Moi, dans la vie, je suis passionné, verbeux, je suis, euh… très gamin. Voilà : je suis un gamin ! Alors, si on me dit que la personne que je suis n’est pas adaptée à faire de la musique, je peux comprendre, mais moi, je crois que la musique peut accueillir toutes les personnes du monde et tous les types d’humains avec leurs travers. Si en France, il y a 20 ans, cela allait moins bien qu’aujourd’hui pour moi, c’est parce qu’on n’avait pas compris que c’était sincère. Beaucoup de gens se disaient : “Qui est cet excité ?”. Progressivement, ils ont compris que j’étais peut-être malade, mais sincère. »

En conséquence, le vent a tourné, et les orchestres engagent Jean-Christophe Spinosi, justement pour cet enthousiasme et cette mise en phase entre la musique et l’émotion. Car, comme le dit Spinosi : « On a toujours des tas de raisons d’oublier l’essentiel : il faut que ce soit bien techniquement, bien stylistiquement, bien au niveau du son, mais le message essentiel de la musique, c’est autre chose. »

« J’ai l’impression que, maintenant, c’est un peu connu. Des orchestres m’engagent quand ils veulent quelqu’un qui entre en contact avec les musiciens pour un moment spécial. Des fois, même, quand les orchestres sont excellents, les musiciens sont un peu rouillés. Mon travail est de tenter de reconnecter tout le monde. »

Brancher aussi l’art sur la vie quotidienne : « Les orchestres sont parfois devenus un peu trop parfaits, presque inhumains, comme pas connectés avec une vie qui a tellement bougé, un monde avec ses attentats, ses guerres. Dans des moments si dramatiques, nous avons besoin de communier les uns avec les autres, et la musique sert à cela. Pour moi, ce qui pouvait sembler futile avant est devenu aujourd’hui une attente : la recherche d’une communication émotionnelle avancée. La musique étant un média des émotions, mon modeste travail est d’essayer de m’ouvrir et de me livrer, de donner plus que ce que j’ai, pour déclencher de l’amour à travers la musique. »

Retrouver Piaf

 

À Québec et à Montréal, Jean-Christophe Spinosi retrouvera Marie-Nicole Lemieux, une complice de longue date, rencontrée il y a 17 ans, juste après le Concours Reine Élisabeth de Bruxelles.

Fasciné par le personnage d’Orlando furioso, Spinosi avait alors pour projet de diriger à Paris trois opéras (Vivaldi, Haendel, Haydn) composés autour de son histoire. « Je cherchais un humain extraordinaire, passionné mais avec la fragilité qui lui permette de tomber dans la folie à cause d’un amour trahi. Personne n’avait joué Orlando de Vivaldi à Paris depuis Claudio Scimone et Marilyn Horne en 1980. Mais je ne trouvais pas ma chanteuse. Un jour, j’ai entendu Marie-Nicole Lemieux dans Le spectre de la rose des Nuits d’été de Berlioz et je ne suis dit : “Elle a tout : il n’y a pas une seconde qui ne sorte de son coeur”. »

Marie-Nicole Lemieux a fait confiance au chef passionné. Sur la grande scène du Châtelet débutait aussi ce soir-là Philippe Jaroussky, également repéré par ce chef avisé. Ce fut un triomphe. « J’ai eu la chance de les avoir connus jeunes et tremblants », s’amuse Spinosi.

Le tandem Spinosi-Lemieux a enregistré pour Naïve trois opéras de Vivaldi. La chanteuse voulait continuer sur cette voie, Spinosi souhaitait changer d’univers : « Un jour, nous étions dans un bar. Il y avait un piano et Marie-Nicole a chanté Aznavour et Piaf. C’était un grand moment. Je n’ai jamais entendu quelqu’un chanter Piaf depuis Piaf comme Marie-Nicole Lemieux. Et c’est même mieux que Piaf ! Je l’ai suppliée de faire un album de chansons françaises où j’aurais fait les arrangements, mais elle n’a jamais voulu. »

On comprend à demi-mot que les chemins se sont un peu séparés : « Nous n’étions plus trop d’accord sur quoi enregistrer, mais cela n’a rien à voir avec la personne, la musicienne et la chanteuse qui sont au plus profond de mon coeur. Cela a été très affectif entre nous. » Reconnexion cette semaine.

Airs de Rossini et de Mozart

À Québec, Palais Montcalm, jeudi 28 septembre à 20 h. À Montréal, Maison symphonique, samedi 30 septembre à 19 h 30.

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