Chris Hadfield à la PdA: retour sur la Terra Canada

Une photo sur grand écran le précède. En aussi gros caractères que le casque de l’astronaute sur la photo, un mot : Canada. En blanc sur fond noir d’espace intersidéral. Dans le casque, la tête du Colonel Chris A. Hadfield. On ne lui voit ni le sourire sympa ni la moustache au-dessus : le plexiglas fait miroir. C’est un peu dommage : dans On a marché sur la Lune, on voit très bien la barbe du Capitaine Haddock alors que, éméché, il est pris dans le champ d’attraction de l’astéroïde Adonis. Hergé avait compris ça : faut voir la barbe, sinon c’est barbant.
C’est quand même le bon Colonel, pas de doute : il y a le drapeau canadien, cousu sur l’épaule gauche du costume. C’est lui, après tout, qui fut le premier astronaute canadien à sortir prendre le vent cosmique, en 2001. Cela dit, ce n’est pas du tout pour ça qu’on est là. Cette belle foule rassemblée au théâtre Maisonneuve en ce jeudi soir est là pour voir et entendre l’astronaute chantant. Le guitariste interplanétaire. Le Rocket Man. Le Space Oddity lui-même en personne.
Ça commence par un film, rappelant les faits d’armes de notre héros : les vols du pilote d’essai, l’entraînement extrême, les équipées là-haut tout là-haut, des chiffres significatifs (« 166 jours dans l’espace »), des extraits de bulletins de nouvelles, et forcément, un bout de la performance spatiale guitare-voix de notre Canadien errant loin, fredonnant la chanson du très regretté David Bowie : oui, Space Oddity.
Moins astronaute en habit
Et le voilà, descendu des cieux et ovationné à l’atterrissage : le Colonel Chris Austin Hadfield, « Don’t leave, please, that wasn’t the whole show ! » badine-t-il. Fond de vérité dans l’assertion, néanmoins : c’est en effet l’essentiel de l’affaire. Car pour le reste de la soirée, il s’agit d’une conférence exhortant les vertus et gloires du Canada, ainsi qu’une leçon sur l’évolution de la vie sur Terre, la nature de l’Homme, avec des gags télégraphiés (« there’s primitive man » : photo de Justin Bieber), et quelques chansons. « Happy birthday, Canada ! » lance joyeusement le monsieur en habit sur scène. Il fait moins astronaute en habit, Chris Hadfield.
Dans le cours d’histoire du Canada, il y a un chapitre sur le choix du nom pour le pays. Le Colonel remonte jusqu’à Jacques Cartier. En français, il imagine ce que Cartier a dû penser en arrivant sur le territoire : « C’est quoi le nom de cette énormité ? » Je sais que le natif de l’Ontario voulait dire « immensité ». Something got lost in translation. Personne n’a ri (sauf moi, un peu, intérieurement). Ground control to Colonel Chris : pas grave, tout le monde s’en fout.
Évidemment, on a compris à quoi cette séance éducative mène : à expliquer les changements climatiques naturels à travers les âges, pour en venir aux changements climatiques moins naturels des dernières décennies, causés par l’homme et son affection pour la culture en pot d’échappement. Ah ben oui, voit-on sur l’une des photos du diaporama : le Canada était une grosse banquise durant l’ère glaciaire. « C’est plus qu’une grosse tempête de neige », précise Hadfield. Ça, c’est vrai.
Il y a également une période de questions provenant de l’auditoire, sans micro, à la bonne franquette. « Will people eventually be born in space ? » demande un spectateur. « Oui », répond l’astronaute, jurant qu’il n’y a toujours pas eu coït en apesanteur. La question d’après porte sur les effets de l’apesanteur, justement. Plus spécifiquement : c’est comment, faire pipi dans l’espace ? Pendant l’explication de celui qui sait, j’ai encore le Capitaine Haddock en tête, avec son rhum en bulles. Allez savoir pourquoi.
Notre homme a l’anecdote prête : au retour d’une mission, explique-t-il, on a la prostate amochée, ce n’est vraiment pas une bonne idée de monter à cheval, fut-ce en tête du défilé pour le Stampede de Calgary. Ça, c’est vrai aussi. « Do you ever feel sad in space because it’s lonely ? » demande un enfant. « Pas du tout, on est avec des gens intéressants, c’est magique », répond Hadfield.
Lequel chante plutôt joliment, quand vient le temps de chanter. Un peu John Denver dans le genre. Ça doit être le trop-plein d’oxygène dans la Station spatiale internationale qui fait chanter haut perché. Ça explique aussi le ton un brin euphorique, rappelant Justin Trudeau. Dans l’espace, comprend-on, un Canadien est presque aussi heureux qu’au Canada.