Enregistrer ses chansons, coûte que coûte

Elles y vont ? Elles y vont. L’une récidive, l’autre se lance. Un deuxième disque en solo pour Vivianne Roy réincarnée en Laura Sauvage (The Beautiful, un vrai voyage psych-électro). Un premier essai pour Julie Aubé. Deux des trois Hay Babies en même temps sur le marché. Advienne que pourra. Pensez qu’il y a moins d’un an, les Hay Babies proposaient un excellent troisième album (si l’on compte Folio, minialbum du début). Leur disque le plus libre, le plus électrique, le plus inclassable, enregistré dans un chalet avec vue sur lac : La quatrième dimension. Je ne sais pas combien d’exemplaires ont été vendus. On n’ose plus poser la question, en ces temps de services d’écoute (Spotify et cie) aux redevances lilliputiennes. Comme beaucoup d’artistes, c’est à l’entrée des salles, en vente directe, que ça rapporte un peu. Encore heureux qu’il y ait les spectacles.
L’étonnement n’est que plus grand : à gauche, à droite, des albums s’enregistrent. Envers et contre tout. Une Sandra Le Couteur, par exemple, s’apprête à descendre les marches menant au petit studio installé dans le sous-sol du musicien-réalisateur Éric Goulet. Sandra Le Couteur ? On a peu parlé de l’album précédent, mais elle rempile néanmoins. Modestement, mais résolument.

C’est frappant : la rentrée de cet automne n’est pas tellement celle des vedettes habituées à rejoindre une masse critique d’acheteurs. Il y en a quelques-uns, bien sûr : mentionnons les Barr Brothers, Mara Tremblay, Kaïn, Dumas, Daran, les 2Frères, Pierre Lapointe. Mais ce sera plus que jamais la saison de ceux qui, coûte que coûte, reconnus ou pas, tiennent à enregistrer leurs créations et à les rendre disponibles.
Risque partagé… ou pas
Certains partagent le (beau) risque avec des compagnies de disques — notamment Simone Records, Grosse Boîte, Sainte-Cécile, les vétérans Audiogram, GSI Musique, La Tribu —, d’autres marchent seuls. Mon Doux Saigneur ? Peter Katz ? Maude Audet ? Paupière ? Annie Comtois ? Cherry Chérie ? Andréanne Martin ? Arrivés par les concours ou non, chacune et chacun ont la conviction profonde que leurs chansons méritent d’exister. Qui se démarquera ? La question est d’importance, mais également superflue. Qu’elles émergent un peu, les chansons, ce sera déjà beaucoup.

Un Jason Bajada tient le coup depuis pas mal d’années. Valeureux auteur-compositeur-interprète, il n’a toujours pas franchi le Rubicon du succès auprès d’un public large. Il continue, ne pourrait pas faire autrement : on aura dès septembre son Loveshit II (Blondie and the Backstabberz). Les nouveaux albums de Tire le coyote, Sarah Bourdon, Pierre Kwenders sont attendus, pas dans les mêmes chaumières que les 2Frères, mais attendus quand même. Moi, c’est sans doute le deuxième album d’Émile Proulx-Cloutier que j’attends avec le plus d’impatience, et ne suis pas le seul (sortie prévue en novembre), mais combien sommes-nous ? Assez pour justifier le pan chansonnier de cette carrière de comédien, espère-t-on.
Tout est là, en fin de compte. Si certains ont toutes les chances de cartonner encore, de plus en plus d’artisans de la chanson visent, au mieux, à faire leurs frais. Fidéliser un auditoire. Jouer le plus souvent possible, dans des cafés ou de petites salles. Tout en espérant la percée, mais sans quitte ou double. Le disque, dès lors, se présente plutôt comme une carte de visite, ou alors un produit dérivé, mais aussi, potentiellement, pour celles et ceux qui poseront le geste de l’achat, la suite d’un amour immodéré pour les chansons enregistrées avec soin, gravées sur un CD ou un vinyle que l’on peut apporter chez soi. Et chérir.
Le temps des niches
