Kerson Leong, ou Beethoven à l’école de la rigueur

Kerson Leong est de retour. Le Kerson Leong qui nous éblouit et nous étonne parce qu’il semble avoir un temps d’avance. La chose est émouvante, car nous l’avions un peu perdu. Nous avions connu le gamin surdoué qui raflait tout, dont cinq fois de suite la meilleure note du Concours de musique du Canada et, à 13 ans, le concours Menuhin.
Et il y a deux ou trois ans est advenu ce passage si difficile des prouesses de l’adolescence aux attentes d’une maturité naissante. Il y avait alors une sorte d’excès de facilité : Kerson Leong jouait du violon, il semblait s’en jouer. Mercredi soir, à la Maison symphonique de Montréal, il a fait de la musique. De la grande musique. Droit comme un « i », imperturbable, rigoureux.
Choisir le Concerto de Beethoven à 20 ans c’est un peu fou, sauf quand à 13 ou 15 ans on jouait déjà tout le reste, quand on a tout simplement de l’avance. Quand on est un surdoué. Le concerto de Beethoven était exactement la médecine qu’il fallait à ce jeune artiste pour qu’il ne se laisse pas gagner par la facilité et une sorte de nonchalance. Pour rehausser son niveau de vigilance. Et comme Kerson Leong est un surdoué, la leçon a payé.
L’ange et le triste sire
En entendant cette pureté, ce son radieux, cette discipline, associée à un orchestre et à un chef qui faisaient de leur mieux pour fournir un cadre respectueux dans lequel Kerson Leong pouvait s’épanouir, je ne pouvais m’empêcher de penser à l’affront, ici même, il y a deux mois de ce pianiste nommé Rafal Blechacz, artiste Deutsche Grammophon s’il vous plaît, qui était venu déchiffrer le concerto « Empereur » à la face de Kent Nagano, de l’OSM et du public montréalais.
Non, en mettant en parallèle le sinistre Blechacz et l’angélique Leong, je n’ai pas hâte de voir quelle est la prochaine vedette marketing surfaite qu’on va nous dégotter pour nous massacrer le Concerto pour violon de Beethoven (on se souvient, à l’OSM, d’un exercice de Vadim Repin et d’une tentative pas plus convaincante de Midori), alors que nous avons à notre porte un jeune Canadien qui fait cela admirablement.
Le concert planifié par Jean-Philippe Tremblay a été dirigé par Simon Rivard, qui assure cette saison estivale après la défection pour raison de santé du fondateur de l’Orchestre de la Francophonie, qui assistait au concert montréalais. Le programme témoigne du sens très fin de Tremblay en matière de musique de notre temps. Les deux partitions, un court essai de jeunesse de Simon Bertrand et un classique exercice cultivé d’opposition de climats de Giancarlo Scalia, qui connaît son Bartok et son Schoenberg (jeune) et les amène dans un univers consonant, sont convaincantes.
Le chef Simon Rivard a « tenu la boutique » avec abnégation, mettant les choses en place comme un enregistrement effectué par Radio-Canada le montrera. Je sens pour ma part un tempérament et des gestes de chef de choeur plus que je ne vois un dompteur d’orchestres, mais le minimum vital a été accompli, et c’est déjà beaucoup.
Un dernier petit mot, pour dire que les décibels en folie des festivals autour de la Maison symphonique ont eu raison de son isolation acoustique pourtant hautement performante. La Symphonie de Bizet, notamment, était mâtinée de boums-boums africanisants.