Bernard Labadie et Jean-Marie Zeitouni côte à côte célèbrent les classiques viennois

Événement rare à l’amphithéâtre Fernand-Lindsay du Festival de Lanaudière en cette fin de semaine : deux orchestres, Les Violons du Roy et I Musici, se réunissent et deux chefs, Bernard Labadie et Jean-Marie Zeitouni, se partagent le podium.

Trois concerts, samedi à 15 h, samedi à 20 h et dimanche à 14 h proposeront la musique des grands classiques viennois : Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert. Samedi après-midi, Jean-Marie Zeitouni dirigera la Symphonie inachevée de Schubert et l’Héroïque, puis, le soir, la 7e Symphonie de Beethoven. Bernard Labadie prendra en charge la 40e Symphonie de Mozart lors de la première moitié de ce concert et dirigera la 104e de Haydn et la 5e de Beethoven le lendemain après-midi.
Nous avons eu envie de poser aux deux chefs les cinq mêmes questions. Ils ont bien voulu se prêter au jeu, ne sachant pas ce que leur collègue allait répondre. Ils le découvriront ainsi comme vous, en lisant ce qui suit, ce samedi !
Entre Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert, quel compositeur vous a « parlé » le plus tôt dans votre vie de musicien professionnel ? À travers quelle(s) oeuvre(s) ?
Jean-Marie Zeitouni (JMZ) : Mozart. La découverte des opéras, avec Ferenc Fricsay (La flûte enchantée), Istvan Kertész (La clémence de Titus) et des symphonies avec Joseph Krips a été déterminante dans mon choix de dédier ma vie à la musique. Sur le plan professionnel (et parce que j’ai d’abord été percussionniste), le choc a été la rencontre des symphonies de Beethoven. Y tenir la partie de timbales fut une des choses les plus stimulantes, excitantes et satisfaisantes de ma vie de musicien avant de faire la transition vers la direction d’orchestre.
Bernard Labadie (BL) : Mozart, indiscutablement, par l’opéra. La flûte enchantée a été un des chocs de ma postadolescence. Avant mes études en chant, mon univers était très limité (Bach et la musique baroque). C’est le contact avec la voix humaine qui a déclenché l’ouverture vers tout le reste — Mozart d’abord, puis Schubert, Schumann, et jusqu’à Richard Strauss… J’ai aussi des souvenirs d’avoir « tripé » sur la 5e de Beethoven à l’adolescence également, mais c’était comme un phénomène isolé.
À quel compositeur êtes-vous venu le plus tard ?
BL : Techniquement, ce serait Beethoven, parce que je me suis passionné pour les lieder de Schubert dès le cégep, mais je me suis investi dans l’univers sonore des symphonies de Beethoven bien avant celui des symphonies de Schubert. Aujourd’hui encore, j’aborde les symphonies de Schubert avec l’impression d’entrer dans un mode infiniment fragile où l’équilibre tient parfois à un fil — sauf peut-être la 5e, qui est une oeuvre juvénile et radieuse… Mon premier contact avec la 9e il y a quelques années (précisément pour Lanaudière, à la demande insistante d’Alex Benjamin, qui m’a forcé la main — et je lui en suis très reconnaissant) a été un moment marquant.
JMZ : Schubert. Évidemment, j’écoutais les lieder depuis toujours, et j’étais complètement ébloui de ce génie qui crée des univers aussi divers que complexes en trois minutes, mais je pense que j’avais besoin de mûrir avant d’assimiler la manière dont son langage s’adapte aux grandes formes.
Y a-t-il chez l’un ou plusieurs de ces compositeurs des oeuvres que vous redoutez et que vous n’abordez pas ?
JMZ : Je redoute la plupart des grandes oeuvres de ces compositeurs parce que je suis hyperscrupuleux et parce que je leur voue un respect immense. Plus spécifiquement, comme pour les grandes oeuvres de Bach, les grands oratorios de Haydn m’intimident encore beaucoup. C’est toute une question de culture germanique, de symbolique et de philosophie. Ce n’est pas le lieu pour « s’essayer » ou se faire la main…
BL : Il n’y a aucune oeuvre de ce répertoire que je n’ai pas l’intention d’aborder, mais dans mon cas, à cause de mon approche très « Aufführungspraxis » (historiquement informée), je ne peux pas me permettre de les aborder pour la première fois avec un orchestre lambda. Il faut que les conditions soient idéales. J’ai donc refusé jusqu’ici plusieurs occasions de faire la 9e de Beethoven avec de grands orchestres américains… Et puis, il faut le dire, les choeurs de la 9e sont inchantables, ce qui ajoute à la souffrance… Cela dit, il y a deux autres « moments » dans les symphonies de Beethoven que je redoute : le finale de la 8e, qui requiert un orchestre hypervirtuose si on veut s’approcher du tempo métronomique suggéré par Beethoven, et le début de la 4e, cette superposition d’octaves de si bémol qui rend l’intonation presque impossible, surtout au concert.
Quelle est la symphonie que dirige l’autre et que vous jalousez le plus ?
BL : Je les jalouse toutes, mais l’Héroïque est une chose immense et irrésistible…
JMZ : Aucune jalousie ici. Je sais que le public et les musiciens sont entre des mains expertes avec Bernard. Mon seul regret est de ne pas pouvoir écouter les Haydn et Beethoven de dimanche, puisque je dois retourner en vitesse au Colorado… diriger la 9e !
Imaginons une intégrale partagée pour le 250e anniversaire de Beethoven en 2020. Puisque chacun de vous aurait l’occasion de diriger la 9e, choisissez deux symphonies parmi 3, 5, 6, 7 et deux parmi 1, 2, 4, 8, et dites pourquoi !
JMZ :Je choisirais 5 et 6 : je pourrais dire « bêtement » parce que je dirige 3 et 7 cette année, mais en fait parce que ce sont deux symphonies qui gagnent énormément à être jouées ensemble. Très contrastantes en surface, on remarque exactement les mêmes préoccupations structurelles, harmoniques et même motiviques. Dans le second groupe, sans aucun doute la 4e, parce que c’est ma préférée (en ce moment du moins). Ensuite la 2e, parce que les occasions sont rares et qu’il y a tant à dire.
BL : Du premier groupe, je prends encore et toujours la 5e (la transition entre le 3e et le 4e mouvement, c’était tellement révolutionnaire pour l’époque, et à l’échelle de la « vieille musique » que je dirige souvent, ça sonne toujours à mes oreilles comme un cataclysme improbable !). Du deuxième groupe, je reste profondément attaché à la 1re, sans doute à cause de sa filiation avec Haydn, ce compositeur qui m’est si cher. Et quand même, commencer sa première symphonie en do majeur par la dominante de fa majeur, il fallait le faire ! Après une mesure, il avait déjà prévenu le monde que tout allait changer…