Tears for Fears à la PdA: encore un peu les maîtres du monde

Fallait l’oser. Il l’osa. Quel fut le moment le plus exaltant de l’excellent show de l’ex-Eagles Don Henley, au Centre Bell en septembre 2016 ? Non, pas Hotel California (qui était fort bien rendue, au demeurant). Ce dont tout le monde se souvient d’abord, c’est la fabuleuse reprise surprise : Everybody Wants to Rule the World. Oui, le mégasuccès des mégasuccès de Tears for Fears. C’était dingue, ça dansait jusqu’au plafond, et la version était donnée pour ainsi dire à l’identique. Eh ! Comment la faire autrement ?
C’est justement avec celle-là, jeudi soir à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, que le duo britannique Tears for Fears démarre. On entend d’abord la reprise de la chanson par la chanteuse Lorde, comme pour signifier : la chanson est encore vivante, le temps est venu pour nous de revenir, à nous d’être encore un peu les maîtres du monde. Départ canon, vous dites ? Euphémisme. Dès que Roland Orzabal et Curt Smith lancent leur vraie de vraie version originale, c’est instantanément la liesse partout dans la salle. L’hallali en commençant. Ce que l’on comprend, ce que Don Henley a bien compris : les ados de 1987 ont atteint la mi-quarantaine. Et c’est à leur tour de célébrer leur décennie fondatrice. Et Tears for Tears, l’un de leurs groupes fétiches. Pour le tandem, et les autres champions de la même génération, il s’agit de tirer le maximum de ce supplément de carrière, avant la péremption. Voyez Duran Duran, qui a cartonné au Festival d’été de Québec l’an dernier. Même U2 rejoue l’album The Joshua Tree au complet dans son nouveau spectacle.
La perfection et l’autodérision
Suit Secret World, assaisonnée d’une citation de Let 'Em In, de Paul McCartney période Wings. Ce qui mène tout naturellement à leur chanson la plus beatlesque (et voulue comme telle) : Sowing the Seeds of Love. Une merveille, magnifiquement servie, foi de beatlemaniaque appréciatif des belles décantations. Vraiment, ils attaquent fort, les vieux copains de Bath. « Ça fait longtemps que nous sommes venus à Montréal… » rappelle Orzabal en français. Oui, très longtemps. L’idéal intervalle, en vérité. C’était le 23 septembre 1993, au même endroit. Les fois d’avant, c’était au vieux Forum (en 1990), au Saint-Denis (trois soirs en 1985). « Je crois que je porte le même pantalon… » Touche d’autodérision nécessaire. Nos gaillards ne sont pas dupes de l’illusion créée par ces chansons si précisément reproduites. On est en 2017. Et l’exploit est dans la capacité de chanter et jouer les bien-aimées sans les trahir ou les amoindrir.
Pale Shelter est pareillement impeccable et imparable. Pari tenu, contrat rempli. Succès après succès, satisfaction garantie. Qui, dans tout Wilfrid, se plaindra de ne pas obtenir le même programme double qu’au Centre Vidéotron de Québec ? Non, Daryl Hall et John Oates ne sont pas là, pas plus que leur propre baluchon de chansons à entonner. Mais il suffit que Tears for Fears lance Change, et personne n’est déficitaire. Enchaînée à Mad World, on est soufflés. C’est de la construction pop-rock franchement extraordinaire, ces chansons. Un niveau de sophistication rarement atteint, une complexité d’arrangements qui force encore l’admiration : le plus fort de l’affaire étant qu’il y a invariablement un refrain inoubliable. Ils ont vraiment appris à la bonne école, Roland et Curt.

Et ils ne manquent pas de culot. Reprendre Creep, de Radiohead, et l’offrir dans un aussi bel écrin pop, ce n’est pas rien : c’est bâtir un majestueux pont entre les Beatles et le groupe de Thom Yorke. La voix d’Orzabal, immense, remplit la place. Cette chanson-là aussi a été cruciale dans les rites de passage de ces spectateurs, qui sont plus que ravis : émus. Advice for the Young at Heart les touche aussi, c’est dire la force évocatrice du répertoire de Tears for Fears.
Bien évidemment, ça se termine en salve d’honneur, avec Head Over Heels, Woman in Chains, et… je vous la donne en mille : Shout ! Le grand cri de ralliement. La grande preuve d’existence. « Shout ! Shout ! Let it all out ! These are the things I can do without/Come on, I’m talking to you, come on… » Pas question de s’en passer. Je gage qu’il va arriver la même chose que dans les années 1980 : la chanson ne nous sortira plus de la tête. Jusqu’à la prochaine fois ? Ça se pourrait bien.