Hommage à Richard Desjardins: le défi relevé de la beauté indicible

Safia Nolin lors de l'hommage à Richard Desjardins dimanche.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Safia Nolin lors de l'hommage à Richard Desjardins dimanche.

« Ce show-là, ça arrive juste une fois », précise Laurent Saulnier dans sa présentation, comme pour signifier sans trop le dire à la foule rassemblée sur la Place des festivals que ce « Richard Desjardins – On l’aime-tu ! » mérite la maximale attention jusqu’à la Catherine. Pas de souci. Il y a d’emblée quelque chose de tendrement solennel quand Thomas Brassard s’installe au piano pour reprendre la chanson de Desjardins qu’il a chantée à La Voix junior : Nous aurons. La toute jeune Simone Marchand chante à l’unisson avec lui. Pas froid aux doigts, Thomas : du haut de ses 14 ans, il ajoute un peu de Chopin en intro.

La table est mise – l’autel ? – pour Stéphane Lafleur d’Avec pas d’casque, qui ramène Au pays des calottes à sa plus simple et essentielle expression, avec sa guitare acoustique et pas grand-chose d’autre. L’écoute est bel et bien religieuse. En guise de merci, une poignée de morceaux permet de se dégourdir les extrémités : Boomtown Café par Philippe Brach avec Bernard Adamus, Le bon gars par Matiu. Mais rapidement, on revient au pari minimum vital de l’album-hommage dont ce spectacle est l’extrapolation : Philippe B est saisissant de modestie dans Y va toujours y avoir, le duo folk Saratoga enlacé d’harmonies dans Quand j’aime une fois, j’aime pour toujours. Keith Kouna bouleverse dans Jenny.

L’extrême attention

L’exigence d’attention augmente d’un cran : Queen Ka lit du Desjardins. Lecture de poésie à la place des Festivals ? Oui, ça se peut. Yann Perreau, juché à la hauteur du chapiteau des médias, fait retentir sa voix immense à grandeur d’âme et de quadrilatère : c’est bien lui, L’homme-canon de la chanson. Sautera, sautera pas ? Non, il ne saute pas : il soulève. Safia Nolin, elle, déchire le ciel chaque fois qu’elle implore : Va-t’en pas.

On savait que le spectacle serait de haut niveau parce que le disque est une improbable et totale réussite, qui transcende complètement le genre très piégé de l’album-hommage : n’empêche que ce dimanche soir sur la Terre des femmes et des hommes, on reçoit en plein dans la patate ces interprétations qui sont émotions pures sans jamais rien surjouer. Même la très théâtrale Klô Pelgag a le ton parfaitement juste pour Les Yankees : les Soeurs Boulay, Safia Nolin et Émilie Laforest (de Forêt) chantent avec elle. Et Philippe Brach offre le contrepoids, et l’impossible arrive : on oublie momentanément l’originale par Desjardins, le temps de cette version incroyablement belle, sur fond de piano et d’égoïne.

Chaque chanson de plus, un cadeau

 

Et revoilà Stéphane Lafleur, pour Boom Boom, chavirant de retenue, et on comprend que chaque ajout, chaque chanson qui n’est pas sur l’album-hommage, nous manquera. Et qu’il faut en saisir les minutes d’éternité. Je vais vous dire, la beauté de L’engeôlière par les Soeurs Boulay est telle que je ne sais pas comment ça se traduit en mots, sinon que leur travail d’harmonisation… embellit la beauté. Stéphanie et Mélanie Boulay, avec Saratoga, accompagnent Keith Kouna pour… Et j’ai couché dans mon char. Mini-bémol : Keith est le premier de la soirée à chanter à la Desjardins ; je croyais qu’ils réussiraient ça aussi, tous, ne jamais s’approcher du phrasé et du timbre de notre homme. Ça y est presque. C’était peut-être trop demander.

Il faut dire que Fred Fortin parvient à faire sur scène ce qu’il a fait sur disque : une version personnelle et jamais déficitaire de Tu m’aimes-tu. Grand moment, vous dites ? Mes mots sont décidément de pauvres mots ce dimanche : le degré de vérité atteint par Fred fait peur. On jurerait que c’est à lui que c’est arrivé, l’histoire dans la chanson : zéro distance entre sa voix, son coeur et les mots de Desjardins. Je pense que la foule n’a pas respiré pendant quatre minutes.

On ne peut pas aller plus loin en dedans. On souffle avec Bernard Adamus, qui surgit à point nommé pour dénoncer le cirque de la F1 en intro de Y a rien qu' icitte qu’on est ben. Répit nécessaire pour recevoir Un beau grand slow, par Philippe B, sur lit de pedal steel par Rick Haworth. La sono est extraordinairement calibrée. Encore la jugulaire, encore la gorge nouée. Un autre répit, peut-être ? Émile Bilodeau est le chien fou de la soirée, ça en prend un pour Le chant du bum. L’intensité ne baisse pas d’un micron pour Dans ses yeux, par un Yann Perreau profondément heureux. Comment vous parler de Fred Fortin qui revient pour Le coeur est un oiseau ? Bon, disons faute de mieux que la chanson n’a jamais été aussi country, aussi pure, aussi près de sa moelle épinière. Bernard Adamus dans Les mammifères : le party attendu. La finale collective avec de l’Abbittibbi, Chaude était la nuit, en reggae : c’est chaud et tout le monde sue.

C’est fini. C’est le propre des soirées que l’on voudrait sans fin : elles finissent par finir. Et les chansons et ceux et celles qui les ont chantées repartent avec nous : on les gardera, longtemps, longtemps, toute la vie si on peut. Ou jusqu’à ce qu’on revoie Richard Desjardins en spectacle.

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