Samy Moussa veut faire battre le coeur de la musique

« Il y avait un réel effort de ma part de penser à Montréal en écrivant cette pièce », affirme Samy Moussa (à droite), ici aux côtés du chef d'orchestre Kent Nagano.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir « Il y avait un réel effort de ma part de penser à Montréal en écrivant cette pièce », affirme Samy Moussa (à droite), ici aux côtés du chef d'orchestre Kent Nagano.

L’Orchestre symphonique de Montréal met un point final à sa saison avec son projet le plus ambitieux : une symphonie pour le 375e anniversaire de Montréal, composition de Samy Moussa mise en lumière par Moment Factory. Le Devoir s’est entretenu avec le Montréalais qui crée en préservant jalousement sa liberté.

Samy Moussa, qui fêtera ses 33 ans jeudi prochain, n’est pas un inconnu ici. Kent Nagano avait déjà eu le nez creux en l’engageant pour la composition d’une oeuvre destinée à l’inauguration de l’orgue Pierre-Béique. A Globe Itself Infolding avait alors presque damé le pion à une composition de la très réputée Kaija Saariaho, créée pour la même occasion.

A Globe Itself Infolding, qui sera reprise en ouverture du Festival de Lanaudière, vient d’être jouée à Toronto sous la direction de Stéphane Denève, ardent promoteur de cette nouvelle musique contemporaine qui replace l’auditeur au centre du processus créatif. Samy Moussa y était : « L’orchestre a adoré, le chef et le public aussi. C’est une musique qui sonne bien. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas profonde, cela veut dire qu’elle n’est pas écrite contre l’orchestre, mais pour lui, avec respect et avec amour. »

C’est donc la fin des créations sans lendemain, du contemporain alibi façon pilule amère de 10 minutes au début du concert ? « Je me suis toujours senti absolument libre, aujourd’hui plus que jamais, et cette question est devenue centrale dans ma vie de musicien », concède Samy Moussa en entrevue au Devoir.

Lui qui vit en Allemagne depuis dix ans voit son pays d’adoption comme un « autre monde »« la musique a des connotations politiques ». Samy Moussa y milite pour reconnecter la création musicale avec le monde : « En Allemagne, je suis une figure polémique, car j’exprime ouvertement des critiques envers certains compositeurs, certaines oeuvres presque dangereuses. Toute une génération, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, y est encore complètement paralysée. J’ai la chance d’être un étranger : c’est ce qui me protège, car je suis libre. »

Au rayon des questions de politiques musicales, Samy Moussa, qui a fait ses études musicales avec José Evangelista à l’Université de Montréal, puis au Conservatoire de Munich, nous rejoint pour considérer que le Québec a manqué l’occasion historique de faire de Jacques Hétu son Sibelius national. Éternel optimiste, le jeune musicien pense qu’il n’est pas trop tard : « Il est toujours temps de reprendre cela. Je continue à en parler : il faut, ici, un projet comme le projet Nielsen au Danemark, où l’État a financé l’édition complète des oeuvres de Nielsen, accessibles gratuitement en téléchargement. En plus, éditorialement, c’est le plus beau travail que j’ai vu. Ce n’est pas de l’argent jeté par les fenêtres : cela rapportera. Une société culturellement différente comme le Québec a besoin de cela : elle ne peut rester indéfiniment dans le cinéma et dans l’humour. »

Moussa, qui a très peu d’amis compositeurs — « ce n’est pas pour des raisons esthétiques : ce n’est pas mon monde et j’évite d’être dans un ghetto », précise-t-il —, considère Thomas Adès comme le plus grand compositeur vivant : « Cela crève les yeux. C’est tellement évident que cela m’étonne que si peu de gens le comprennent. La révolution musicale de ce compositeur est proprement inouïe. »

Symphonie en lumière

 

Le titre de la 1re Symphonie de Samy Moussa, Concordia, dérive de la devise de Montréal : « Concordia salus » (le salut par la concorde). Si le travail avec l’équipe créatrice de Moment Factory s’est fait, justement, sous l’égide de la concorde, il était important aux yeux du compositeur que son oeuvre soit autonome, que la musique ait un sens en elle-même, « un peu comme les ballets de Stravinski ».

« Je suis serein. J’ai confiance en ce qu’ils feront et j’ai confiance en ce que j’ai fait. Mais, oui, l’oeuvre peut exister sans projections. Il le faudra », nous dit Samy Moussa.

Dans les faits, lasymphonie Concordia est une oeuvre en quatre mouvements, division fort classique, dont « l’équilibre dramaturgique » convenait à Moussa. Le compositeur nous la décrit ainsi : « Le 1er mouvement, lent, a une particularité : l’absence de percussions. L’orchestre est plus ou moins brucknérien, la musique très concrète, c’est-à-dire qu’on est dans le contenu, les notes, et pas dans l’effet orchestral. »

Le second volet « alterne absence de temps et suspension de temps, ponctué d’éclats orchestraux et de cloches. Ici, nous avons des sons métalliques. La musique accélère et certains motifs émergent. Cinq motifs différents sont superposés. Cela oscille entre ce que Boulez appelait, en 1963, le “temps strié” et le “temps lisse”. C’est le mouvement le plus bref, le plus éclatant, le plus étrange ».

Le 3e mouvement est un nocturne. Moussa a repris et légèrement adapté une oeuvre de 2014 qui s’est imposée comme le mouvement lent de cette pièce : « Parfois, c’est l’inconscient qui travaille : j’avais prévu de faire autre chose, mais je n’y arrivais pas, parce que ce n’était pas ce que cette symphonie me demandait, ce n’était pas ce que le 1er mouvement annonçait. »

Le nocturne est « le coeur émotionnel » de la symphonie, « auquel s’enchaîne un dernier mouvement très rapide qui, de prime abord, donne l’impression d’être minimaliste, mais ce n’est pas le cas ». Dans ce dernier épisode, « des lignes lentes s’ajoutent au canevas rapide, de sorte que la musique apparaît de plus en plus lente, jusqu’à un climax, une glaciation, où tout s’arrête ». On sent, à écouter Samy Moussa, que ce moment touche particulièrement le compositeur. Puis « la musique repart et grandit vers une fin éclatante ».

Le lien de l’oeuvre avec Montréal ne sera pas pseudo-historique, décoratif ou narratif : « Le lien passe par l’artiste, le territoire où il a grandi. Il ne s’agissait pas de citer des musiques ou de faire des actes superficiels. C’est délicat d’en parler, mais il y avait un réel effort de ma part de penser à Montréal en écrivant cette pièce. Je pensais au territoire qui était là avant, qui était là il y a 375 ans et qui sera là dans 1000 ans. Ce qui m’intéresse, c’est son côté perpétuel et immortel. »

Symphonie montréalaise

Concert de clôture de l’OSM. Dvorák : Symphonie no 9, Du Nouveau Monde. Moussa : Symphonie no 1, Concordia, avec projections de Moment Factory. Maison symphonique de Montréal, mercredi 31 mai, jeudi 1er juin et vendredi 2 juin 2017 à 20 h. Il sera possible de voir le concert en direct sur osm.ca, et en différé pour 90 jours. Il sera également diffusé le jeudi 8 juin à 21h (en rappel vendredi 9 juin 20h et dimanche 11 juin, 18h) sur ICI ARTV.

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