Retrouver la simplicité de «La bohème»

Dans la nouvelle mouture de la superproduction, les rôles de Mimi et de Rodolfo ont été confiés à France Bellemare et Luc Robert.
Photo: Yves Renaud Le Devoir Dans la nouvelle mouture de la superproduction, les rôles de Mimi et de Rodolfo ont été confiés à France Bellemare et Luc Robert.

L’Opéra de Montréal met un point final à sa 37e saison avec le poids lourd des superproductions : La bohème de Puccini, présenté pour la septième fois depuis 1980. Pour l’occasion, l’institution reconduit telle quelle la production de 2011, signée Alain Gauthier et Olivier Landreville.

Il y a six ans, c’était déjà en mai, Marianne Fiset et Philippe Bélanger tenaient les deux rôles principaux de Mimi et Rodolfo, confiés cette fois à France Bellemare et Luc Robert.

La bohème est évidemment le plus typique, le plus connu et le plus représenté des opéras de Puccini. Une mansarde, le Paris des petites gens (Mimi, qui confectionne des fleurs en papier, et Rodolfo, un poète qui attend le succès) au XIXe siècle. Un amour fou, la maladie, le désoeuvrement et, au bout, la mort. Puccini à son plus pathétique et lacrymal, à son plus efficace aussi. Puccini lui-même a avoué avoir pleuré en composant la mort de Mimi !

La première de La bohème eut lieu à Turin en 1896 sous la direction du jeune Arturo Toscanini, chef prometteur. La critique prédit à l’ouvrage une brève carrière. On sait ce qu’il en est advenu…

Car le succès des aventures de ce petit peuple de Paris ne se dément pas : à Montréal, en salle, les quatre représentations sont déjà pleines. Il reste la possibilité de se replier sur la projection du 27 mai au stade Molson. Attention : cela a beau être gratuit, il faut se procurer un laissez-passer sur le site de l’Opéra de Montréal.

Tradition et mauvaises habitudes

 

Pour poser un regard neuf sur La bohème,nous avons sollicité le témoignage du metteur en scène Renaud Doucet. Avec André Barbe, Renaud Doucet forme le tandem de créateurs lyriques québécois le plus demandé sur la planète. Désormais établis à Venise, Barbe et Doucet, qui viennent de concevoir leur première Bohème pour l’Opéra royal d’Écosse, ont baigné dans ce chef-d’oeuvre depuis un an. Ils n’en sont pas sortis indemnes.

« On ne nous offre jamais ce répertoire, car on pense que cela va nous ennuyer », déplore Renaud Doucet, qui relève que « les grands opéras, tels que La bohème, La traviata, Madame Butterfly ou Aïda, vaches à lait des maisons d’opéra, justifient au contraire qu’on y accorde encore plus d’attention ».

Pour Renaud Doucet, qui note que « tout le monde a une idée préconçue de ce que ça devrait être », « il ne faut pas mettre en scène l’idée de La bohème, mais la partition de La bohème ». Pour « ne pas confondre tradition et mauvaises habitudes », « la clé se trouve dans la partition d’orchestre ». Il faut y traquer « les motivations qui créent un tempo, un rythme ».

« Nous avons tous entendu La bohème. Nous avons tous vu La bohème. Or, il faut se poser des questions. Pourquoi cette virgule ? Pourquoi ce changement de tonalité ? Pourquoi le hautbois plutôt que la flûte ? Quand on va au plus proche de la musique, on retrouve l’émotion. En Écosse, nous avons décortiqué la partition note par note ; nous avons remis en question la moindre double croche. En Europe, en six semaines, on a le temps de le faire. À la fin du processus, l’action crée le chant et cela devient normal, organique. »

Premier maître

 

Chose étonnante : au fil de toutes ses études et écoutes pendant une année, Renaud Doucet n’a jamais trouvé un enregistrement approchant celui d’Arturo Toscanini, le créateur. « C’est un choc, une référence, car c’est la source. Il a travaillé avec Puccini, il aime le théâtre en musique. Tous les mots ont une émotion et toutes les émotions sont retranscrites en musique. Tout vient de l’idée derrière les mots : il ne s’agit pas de faire un portamento ici ou un point d’orgue là, juste pour faire joli, alors qu’ils n’existent pas. » Dans le même ordre d’idées, « quand on a un rallentando chez Puccini, il faut le commencer là où il est écrit, pas six mesures avant ».

De ce point de vue là, c’est vrai, la tonicité de Toscanini a été largement perdue et l’interprétation de La bohème appelle « des contrastes plus grands au niveau des tempos ».

Sur le fond, selon notre témoin, « il n’y a rien à dépoussiérer, car il n’y a pas de poussière : la partition est tellement touchante ; il suffit d’enlever le pathos surajouté ». C’est la simplicité, le chemin qui mène à « Ia sincérité des émotions et des personnages » qu’il s’agit de retrouver : « Il n’y a que de l’amour, que de la tendresse, que de l’humour qui donne une rythmique. Quand on étire tout, La bohème n’a plus aucun sens. Cela parle de gens jeunes et il faut retrouver cette jeunesse. »

D’ailleurs, à ce titre, Renaud Doucet pense qu’en dépit de certains codes, « si la transposition est faite intelligemment, l’action peut se passer aujourd’hui ». « La bohème est une fenêtre sur notre vie : on rit, on pleure, on suffoque. Si on ne pleure pas en regardant La bohème, en montant La bohème ou en dirigeant La bohème, c’est qu’on ne fait pas La bohème, car il y a un moment où ça nous prend aux tripes. Après, notre boulot à nous, c’est de faire pleurer les gens, pas de pleurer nous-mêmes ! »
 

France Bellemare parle du personnage de Mimi


Puccini au stade Molson

Il y aura une projection gratuite de La bohème pour 15 000 spectateurs le 27 mai sur écrans géants au stade Molson. Il faut toutefois se procurer un laissez-passer obligatoire via le site de l’Opéra de Montréal : laboheme.operademontreal.com. La projection, qui aura lieu beau temps, mauvais temps, sera précédée d’activités de démocratisation de l’opéra. Un service de navette sera offert par la STM au départ de la station McGill.

La bohème

Opéra de Giacomo Puccini. Avec France Bellemare (Mimi), Luc Robert (Rodolfo), Lucia Cesaroni (Musetta), Justin Welsh (Marcello), Christopher Dunham (Schaunard), Alexandre Sylvestre (Colline), Claude Grenier (Benoit et Alcindoro), Orchestre Métropolitain, James Meena. Mise en scène : Alain Gauthier. Salle Wilfrid-Pelletier, samedi 20 mai 2017 à 19 h 30. Reprises les 23, 25 et 27 mai.



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