Le Patriote de Sainte-Agathe: 50 ans d’occasions saisies

En chemin vers Sainte-Agathe, histoire de se mettre dans l’ambiance, on écoute La mémoire des boîtes à chansons, disque double décanté d’émissions de télé, en 2001. On avait réuni pour l’occasion plusieurs de ceux qui, ce jeudi soir, sont au Patriote, « le théâtre des grands de chez nous », pour la célébration des 50 ans du lieu : Gilles Vigneault, Jean-Pierre Ferland, Claude Gauthier, entre autres. Il y avait aussi pas mal de grands et grandes de notre chanson qui ne sont plus parmi nous : Sylvain Lelièvre, Germaine Dugas, Claude Léveillée, Jean-Guy Moreau. Je me souviens fort bien des spectacles filmés et enregistrés alors. Je me souviens que je me trouvais chanceux.
Et je le suis tout autant ce soir. Moi et tous ces gens qui ont rempli le mythique endroit, tout autant que Monique Giroux l’animatrice de la soirée. « Je ne voudrais pas être ailleurs ni quelqu’un d’autre », dit-elle dans son mot de bienvenue : c’est précisément ce que je veux dire. Et dès la première chanson, on sait que cette soirée sera vraiment unique : Gilles Vigneault rejoint Ariane Moffatt pour Le grand cerf-volant. Et puis c’est Michel Rivard qui partage avec Robert Charlebois La complainte du phoque en Alaska : à la fin, Robert gratte la guitare de Michel, qui aligne ses beaux accords. Partage et demi.
Cette idée de la chaîne, chaque artiste retrouvant l’artiste suivant en cours de chanson, est parfaitement appropriée : c’est une soirée de liens. C’est évidemment Louise Forestier qui se joint à son Robert d’avant-hier pour ramener au présent le Frédéric de Léveillée. Yann Perreau, lui, chante du Yann Perreau : Beau comme on s’aime. Pas en duo. Je comprends que l’on veuille aussi varier la donne, sortir du prévisible, télescoper passé, présent et futur. Je gage que tantôt il aura son duo.

Des liens, des liens, des liens
Salomé Leclerc, toute seule avec sa guitare électrique, ravive non sans une saine rugosité La vie d’factrie, essentielle des essentielles de Clémence DesRochers. Et ensuite ? Rien n’est laissé au hasard dans la conduite de cette soirée mise en scène par Jérôme Charlebois. Après la chanson de la pionnière du monologue, c’est Lise Dion qui prend le relais, avec un monologue à la Clémence. Et Clémence reçoit une ovation, que relaiera Monique Giroux à l’intéressée par le truchement de son téléphone portable. Bien évidemment, c’est Jean-Pierre Ferland qui s’amène, et rappelle ses fréquentations avec Clémence, au temps des Bozos. L’impénitent J.-P. sert Avant de m’assagir, comme de raison. Décidément, ça s’emboîte comme des poupées russes, ce spectacle. Cinquante ans d’occasions saisies.
Michel Forget et Michelle Deslauriers se retrouvent comme ils se sont retrouvés ici tout un tas d’étés. « Michelle, c’est ma femme d’été », résume le comédien. « C’est le temps de partir », ajoute la comédienne. « Pour un grand voyage », disent-ils en partant. Oui, eh oui, voilà Claude Gauthier, avec sa belle voix et ses grands gestes, le temps de son Plus beau voyage. Charlebois se glisse derrière le piano, a un gag tout prêt pour son copain Claude : « On pourrait peut-être faire Marie-Noël, avec le temps qu’il fait… » Mais non, Robert chante Ordinaire, et Yann Perreau vient s’en mêler (on n’aura pas attendu son duo). Ça fait longtemps que j’ai entendu la chanson : grand frisson. Et après ça ? L’entracte, quoi d’autre ?

Les chansons nécessaires
Au retour, Michel Rivard chante Maudit bonheur. Tout seul : c’est la clé de cette soirée, on ne sait jamais ce qui va se passer, et parfois, c’est un artisan seul avec son oeuvre, et c’est parfait comme ça. Y compris le faux départ, faute de micro ouvert. Un tel spectacle ne peut pas être trop lisse, ça lasserait. Le bonheur est fait de saillies et de creux, après tout. Michel mesure : il a joué au Patriote avec La Quenouille bleue, avec Beau Dommage, en solo souvent. Suit un « p’tit gars de la place » : Michel Robichaud, qui a tout fait ici, y compris « déneiger le toit au complet ». Ce soir, il chante. Chansonnier méconnu parmi des chansonniers célébrés. Beau lien.
Daniel Boucher chante un autre grand disparu : George Dor. Mais si, La Manic. « C’est un honneur… », lâche-t-il. Pas question d’éviter les chansons nécessaires, en un tel soir. Oui, oh que oui, on a droit à la toujours incroyable Lindberg, par Robert Charlebois et Louise Forestier, tous deux très en voix. Ils l’ont créée au Patriote montréalais, cette chanson qui les unit pour la vie. Et nous à eux deux. Et eux deux à Yvon Deschamps et Mouffe, qui viennent saluer, le temps d’un flash à L’Osstid’cho. Suite logique : Louise seule lance son hymne national à elle : Dans la prison de Londres. Le Patriote se lève et danse.

On en est déjà au bouquet final ? C’est bête, mais c’est la vie : le spectacle ne peut pas durer cinquante ans. Ferland revient pour La musique, émeut comme si c’était vraiment la dernière fois. Rivard s’offre et offre la plus que nécessaire chanson de Félix : oui, Bozo. Claude Dubois ressort sa plus belle, totalement de circonstance : J’ai souvenir encore. Et autour de Vigneault, tout le monde est là pour entonner Gens du pays. « Cher Patriote, c’est à ton tour de te laisser parler d’amour… » Et après ? La fin. Quoi d’autre ?
À la différence de La mémoire des boîtes à chansons, ce spectacle ne survivra ni sur disque ni à la télé. Mais il existera très fort dans les mémoires de ceux qui sont là ce jeudi 11 mai au Patriote de Sainte-Agathe. C’est ça, le spectacle vivant. Faut y aller.