Les contrastes de la tradition

Toujours du pareil au même la musique traditionnelle du Québec ? Que non ! Car, pour ajouter à la foisonnante création parue depuis le début de l’année, trois artistes ont récemment fait paraître des productions multiformes. Tour d’horizon.
Robert Bouthillier a lancé Temporel/Intemporel, un disque de chansons jumelé à un volumineux CD de données historiques, Les Chauffeurs à pieds sont revenus avec un album intégré à un recueil de poésie et plusieurs autres formes culturelles, alors que Gaëtane Breton a joint ses efforts à ceux de Lise Baucher-Morency pour la parution d’un livre-disque inspiré par la fondation de Ville-Marie.
À des années-lumière les unes des autres, ces trois oeuvres témoignent pourtant d’un même phénomène : la richesse de la tradition et de la créativité qu’elle fait naître.
Robert Bouthillier : le chant de base
Ce folkloriste vient de signer l’oeuvre d’une vie, dans la lignée des Marius Barbeau, Édouard-Zotique Massicote, Carmen Roy et quelques autres. Chanteur-collecteur-chercheur et ethnologue de formation, le formidable passeur propose Temporel/Intemporel, un CD de 29 chansons de l’Amérique francophone, en particulier de l’Acadie et du Québec, interprétées a capella et en demeurant le plus fidèle possible à l’esprit des sources.

Complaintes criminelles, chansons à boire et à faire rire, chants de départ et d’exil, paroles métaphoriques, connexions avec le Moyen Âge. Le répertoire est très diversifié et l’interprétation non tempérée est riche en ornements, en silences, en aérations : un véritable chant de base avec la plainte de la solitude et la légèreté de la vie.
Pour ajouter à cela, un CD de données de 454 pages comprend les transcriptions, des commentaires fouillés, des articles d’époque, des illustrations et photos, en plus d’une cinquantaine de versions parallèles avec les sources que Bouthillier a souvent lui-même collectées avec Vivian Labrie.
Les Chauffeurs à pieds : l’éclatement de la forme
Si Les Chauffeurs à pieds n’ont jamais refusé la déglingue, les voici plus libres et plus fous que jamais avec De ses couteaux microscopiques, une oeuvre-projet pour le moins multidisciplinaire qui fait éclater une forme traditionnelle qui en demeure toutefois l’inspiration première. Pour signifier à Hydro-Québec son désaccord quant à ses politiques de développement énergétique, le groupe de Québec a organisé en 2013 une descente en canot des rivières aux Pécans et Moisie.
Là-bas, on a composé le répertoire du 8e album et une partie de ce livre-disque qui renferme aussi un recueil de poèmes d’Antoine Gauthier, des photos et peintures, de même que des partitions musicales et des recettes de cocktail ou de nourriture déshydratée utiles pour la vie en forêt. Quant à la musique, elle est à la fois trad et improvisée, contemporaine, déroutante, drôle, souvent asymétrique et ponctuée de poèmes chantés parlés provocant de saisissants contrastes entre la nature et la ville, les arbres et les tonnes de suie, la chanson autour du feu et l’électro, le territoire innu et la chain saw.
Lise Baucher-Morency et Gaëtane Breton : l’art historique

À l’occasion du 375e anniversaire de Montréal, Planète rebelle publie La périlleuse fondation de Ville-Marie, un livre-disque comprenant un roman de Lise Baucher-Morency basé sur l’histoire officielle de la fondation de la ville, en plus d’un CD de chansons originales de Gaëtane Breton, superbe chanteuse et icône du revival traditionnel du temps de Breton-Cyr.
Destiné à un public de tous âges, le roman décrit la vie de la colonie dans un langage simple et imagé. Les textes du disque, écrits par l’interprète, se collent d’ailleurs à l’histoire du livre avec ses personnages comme Maisonneuve, Jeanne Mance et quelques autres, pendant que la musique, composée par le multi-instrumentiste Gilles Plante, est empreinte de l’esprit de la renaissance dans une forme bellement et librement adaptée entre autres par les instruments d’époque.