Samuele, à la racine des choses

La diversité sexuelle, l’identité queer et le féminisme sont des sujets à la mode qui jouissent d’une présence médiatique sans précédent. Tant mieux, croit Samuele, auteure-compositrice-interprète pansexuelle qui a fait paraître son album en partie sociofinancé Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent vendredi. Mais les modes passent et l’important est de suivre sa vérité. Rencontre avec une musicienne furieusement intègre.
Comment prendre sa place dans le monde, quand celui dans lequel on évolue impose des carcans ? Samuele, artiste queer de Montréal qui pond un blues rock aux paroles perçantes, le vit comme un processus en constante évolution. Si elle se fait plus souvent reconnaître pour l’intervention qu’elle a faite l’automne dernier à l’émission Les francs-tireurs que pour sa musique, elle dit mener une démarche artistique qu’elle veut 100 % authentique. Et sa connaissance de soi est au coeur de cette honnêteté artistique.
« J’ai arrêté de m’excuser, mais pas seulement dans ma vie artistique. Quand je suis devenue plus à l’aise avec mon identité et la place que je voulais prendre dans le monde, je l’ai aussi été sur scène. Tu te demandes si ce que [tu as] appris à faire, t’excuser et être discrète, est-ce que c’est vraiment ça que [tu as] envie de faire ? C’est à force d’y réfléchir que tu chemines », médite Samuele, l’oeil bleu ciel et la mèche blonde en pagaille sous son bonnet.
Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent s’ouvre sur Égalité de papier, une pièce de spoken word de trois minutes qui condamne sans ambages les injonctions à la beauté, à la soumission et au silence qui incombent aux femmes. Le titre de son album fait d’ailleurs béer les féministes. Pourtant, l’oeuvre n’est pas un disque politique, affirme son auteure. « Globalement, quand on fait quelque chose, on parle de nos expériences, répond-elle. Ne pas être un homme, ça implique une expérience qui est différente. Je suis quelqu’un qui a une approche radicale, dans le sens de [qui va à] la racine des choses. C’est moi, ce qui m’habite. J’imagine que je suis une personne politique, alors ça va transparaître dans ce que je fais. Mais je n’ai pas le désir d’être “l’artiste engagée”. C’est un terme qui me gosse parce que c’est une étiquette que les gens vont prendre quand ils endossent une cause, une fois. »
Mieux sur scène
Le but de tout, que ce soit dans l’art ou dans les relations, est de devenir de meilleures personnes et d’améliorer notre environnement, poursuit Samuele. « Ce que je pensais il y a six mois n’est pas la même chose que je pense aujourd’hui. Ma réflexion continue. Pour moi, c’est ça, être une personne engagée, je m’engage dans “être une meilleure personne”. »
La scène est son ring, l’endroit où elle vit l’intensité. « C’est là où je me sens à la fois à ma place et vraiment en danger. C’est là que je tripe pour vrai. » Musicienne intuitive, Samuele est adepte de la sensualité que permet le folk et le blues.
Ne pas être un homme, ça implique une expérience qui est différente. Je suis quelqu’un qui a une approche radicale, dans le sens de [qui va à] la racine des choses.
Avec le temps, la scène a dépassé le simple cadre de sa prestation musicale. « J’ai appris à prendre le stage aussi. Je me suis rendu compte que les gens m’écoutent. J’en profite pour faire un peu d’éducation populaire. C’est quelque chose qui est important pour moi. » Impliquée dans l’organisme GRIS-Montréal, Samuele profite de l’attention qu’elle a en spectacle pour parler des sujets qui la touchent.
« J’ai une facilité à faire ça, synthétiser des concepts qui peuvent être ardus pour les porter aux autres, commente l’artiste. Il y a une chanson, par exemple, qui parle d’intimidation, elle m’a été inspirée par une personne non binaire qui vivait de l’intimidation. Sur scène, je prends le temps d’expliquer c’est quoi l’identité non binaire. C’est dans ma nature, l’envie d’expliquer aux gens. »
Si la scène est l’eldorado, comment voir l’étape qui précède ? Elle avoue candidement avoir des appréhensions sur l’enregistrement. Le studio est presque un passage obligé. « Oui, je me suis éclatée à faire [l’album], mais pour moi, c’est un prétexte pour arriver à faire des spectacles », dit-elle. Le disque est un objet trop figé. « Sur un CD, la fois où j’ai chanté la toune, c’est la fois où on l’a enregistrée et c’est comme ça qu’elle va être sur l’album. C’est comme ça que les gens vont l’écouter. Pour toujours. »