Au-delà des différences culturelles

Pour la création de Dalla porta d’Oriente, Constantinople s’associe à Marco Beasley, l’une des voix les plus importantes de la musique de la Renaissance, de même qu’à deux de ses collaborateurs de longue date : Stefano Rocco et Fabio Accurso. Fidèle à ses habitudes, l’ensemble montréalais propose une rencontre réelle ou imaginaire entre l’Orient et d’autres mondes. Cette fois-ci, une large partie du répertoire est tirée du manuscrit Majmua écrit au début du XVIIe siècle par Ali Ufki (Albert Bobowski), un musicien et orientaliste d’origine polonaise.
« Ali Ufki est un personnage intéressant, lance d’entrée de jeu Kiya Tabassian, le directeur musical de Constantinople. Il a vécu à Constantinople et a changé son nom. Il était à la fois un virtuose musicien, un historien, un traducteur, et il a joué un rôle assez important dans la diplomatie ottomane. » Ali Ufki avait créé plusieurs collections de notations, et son manuscrit Majmua est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Mais un élément a fortement intéressé Kiya : « On y retrouve à la fois des pièces de musique ottomanes et persanes, mais aussi de la musique européenne de l’époque allemande, italienne, ainsi que des chansons françaises. C’est ça qui était frappant pour moi, le fait qu’il y a 400 ans, un musicien savant voyait déjà ce lien entre différentes musiques. »
Le maître d’origine polonaise a également écrit ses propres compositions, et certaines d’entre elles seront au programme du spectacle Dalla porta d’Oriente. « Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’on entend les influences des musiques européennes, même s’il s’est vraiment formé avec la musique ottomane et la musique persane. »
Ali Ufki est un personnage intéressant. Il a vécu à Constantinople et a changé son nom. Il était à la fois un virtuose musicien, un historien, un traducteur, et il a joué un rôle assez important dans la diplomatie ottomane.
Pour Kiya, une autre dimension importante apparaît dans ses créations : il était joueur de santour, cet instrument de la famille des cithares sur table. « Le santour de l’époque est très proche du santour persan. Quand on relit les pièces d’Ali Ufki, il faut réarranger un peu ses mélodies parce qu’il les a écrites dans un style de jeu de santour. »
Pour Dalla porta d’Oriente, le sétar persan de Kiya dialoguera avec le théorbe et la guitare baroque de Stefano Rocco, les luths de Fabio Accurso, le violon baroque de Tanya LaPerrière, la viole de gambe de Pierre-Yves Martel, le kanun de Didem Basar et la multipercussion de Patrick Graham. Une partie du spectacle sera parlée, alors que Marco Beasley chantera et racontera en italien. Son collègue Fabio Accursio parle du travail qu’ils font ensemble avec Stefano Rocco depuis trois décennies. « Je pense que la combinaison de nos cordes est parfaite pour la voix de Marco, parce qu’il est très bon dans les contrastes. Notre répertoire est italien, mais pas seulement. Marco a inventé un voyage imaginaire entre l’Italie et l’Angleterre. »
Le fil rouge durant le concert Dalla porta d’Oriente est le texte de La Jérusalem délivrée, un poème épique de Torquato Tasso. L’épisode Le combat de Tancrède et de Clorinde (Il combattimento di Tancredi e Clorinda) est mis en musique par Claudio Monteverdi. Marco Beasley en raconte les grandes lignes : « Dans l’histoire, on a Tancrède, un prince chrétien qui va défendre Jérusalem contre les Sarrasins, qui sont aidés par quelques chevaliers très forts, dont une femme qui s’appelle Clorinde. Tancrède tombe amoureux de Clorinde, mais son amour n’est apparemment pas réciproque. Il l’a défaite mais, au moment de mourir, elle lui dit vouloir recevoir l’eau du baptême. À partir de la question religieuse et de la libération de Jérusalem, cela devient une tragique histoire d’amour. » Bien au-delà des différences culturelles.