La «Symphonie du millénaire» garde le meilleur pour la fin

La «Symphonie du millénaire» est articulée en sept sections : Appel, Enfer, Purgatoire, Contemplations/Aurores boréales, Paradis, Ascension et Apothéose/Épilogue.
Photo: Jérôme Bertrand SMCQ La «Symphonie du millénaire» est articulée en sept sections : Appel, Enfer, Purgatoire, Contemplations/Aurores boréales, Paradis, Ascension et Apothéose/Épilogue.

Monté pour l’an 2000, le pharaonique projet de Symphonie du millénaire, initié par Walter Boudreau et Denys Bouliane, avait mobilisé à l’époque 19 compositeurs, un budget de 1,3 million de dollars et attiré 40 000 spectateurs.

« Philosophiquement, je voulais tendre la main au grand public », nous déclarait récemment Walter Boudreau, qui a retravaillé le projet en une oeuvre de 72 minutes pour grand orchestre, choeur mixte, orgue solo et électronique, destinée à conquérir les salles de concert.

Ne vivant pas au Québec au moment de la création, je ne peux statuer sur la différence entre la version originale et la mouture révisée. La création avait suscité des commentaires diamétralement opposés. « La Symphonie du Millénaire triomphe au-delà des espérances », avait titré dans Le Devoir un François Tousignant « confondu ». Dans La Presse, Claude Gingras avait traité le « gaspillage d’énergie et d’argent » de « ramassis informe et bruyant », s’attirant les foudres de Boudreau dans une lettre ouverte intitulée « Dieu, que de mauvaise foi, que d’obstination ! »

Il est à porter au crédit du directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec d’avoir eu pour ambition de donner une seconde vie — au pire, éphémère — à une chose qui a coûté si cher. À ce titre, il est assez hallucinant de penser que le « forfait » de 1,3 million n’incluait pas une diffusion discographique de l’oeuvre (surcoût de 350 000 dollars).

La Symphonie du millénaire est articulée en sept sections : Appel, Enfer, Purgatoire, Contemplations/Aurores boréales, Paradis, Ascension et Apothéose/Épilogue, mais ces thématiques, qu’il aurait été bienvenu d’indiquer par la projection des titres, ne sont pas clairement identifiables.

L’unité est donnée par le fait que les compositeurs ont travaillé sur le Veni creator spiritus grégorien qui parcourt les 74 minutes de l’oeuvre comme un fil conducteur. Le dispositif, amplifié, comporte un grand orchestre, un choeur, un orgue et l’électronique. Ménager ici et là des interludes d’orgue est une brillante idée : il aurait pu y en avoir davantage.

Même si les compositions collectives n’intéressent même plus les Chinois et que le début tient beaucoup de « l’informe » et du « bruyant », la Symphonie du millénaire comprend quelques sections judicieuses et convaincantes, par exemple, après un tiers, une sorte de cavalcade avec des solos de flûtes et bois, façon Oiseau de feu, suivie d’une échappée du genre « folk » très réussie. On remarquera aussi une efficace variation associant électronique et cloches.

Le meilleur se niche cependant dans les dix dernières minutes. Un jeu de ping-pong acoustique avec des cloches débouche sur un brillant passage citant la Scène du couronnement de Boris Godounov menant à une efficace gradation chorale et, même, une fausse fin, avec un long silence, comme dans Le poème de l’extase de Scriabine.

Je doute que l’exercice, certes nécessaire, réalisé par Boudreau ouvre la voie à une vaste diffusion de ce magma musical dans les salles de concert. Ceux qui voudront un traitement contemporain exemplaire et pragmatique d’un thème religieux ancien (Ave Maria, o auctrix vite) écouteront le très étasunien RainbowBody de Christopher Theofanidis (14 minutes), créé deux mois avant la Symphonie du millénaire, en avril 2000 à Houston.

Symphonie du millénaire (Prise II)

Oeuvre collective de Serge Arcuri, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Vincent Collard, Yves Daoust, Alain Dauphinais, André Duchesne, Louis Dufort, Sean Ferguson, Michel Gonneville, André Hamel, Alain Lalonde, Estelle Lemire, Jean Lesage, Luc Marcel, Marie Pelletier, John Rea, Anthony Rozankovic et Gilles Tremblay. Révision et arrangement de Walter Boudreau (2017) pour grand orchestre, choeur mixte (16 voix), orgue, quinze clochers d’église enregistrés, traitement électronique et carillonneurs. Philip Crozier (orgue), Orchestre philharmonique des musiciens de Montréal, musiciens de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), dir. Philippe Ménard. Un concert « nouvellegégération.orgue » en collaboration avec Montréal/Nouvelles musiques. Basilique de l’Oratoire Saint Joseph, le 26 février 2017.

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