De la cuisine à la lune avec Bon Débarras

Jeudi soir, le groupe montréalais proposait le spectacle du lancement de « En panne de silence », du nom de son nouvel album, devant un public très enthousiaste au Lion d’Or. D’entrée de jeu, une nouveauté s’impose : l’arrivée de la violoniste altiste Marie-Pierre Lecault, ce qui modifie beaucoup la personnalité du groupe. Elle remplace le contrebassiste Cédric Dind-Lavoie, joue, chante, tape du pied et invite le Quatuor Trad avec lequel elle s’est fait connaître. Avec elle, Bon Débarras se rapproche davantage du son québécois.
Le groupe a toujours puisé principalement dans l’Amérique francophone, jusqu’à la Louisiane, en intégrant des éléments de roots américain, mais avec ce troisième album, et bien que ces influences soient toujours présentes, Bon Débarras offre dorénavant un répertoire presque complètement original en mettant l’accent sur la chanson : la chanson poétique, celle d’inspiration traditionnelle, ou cette autre qui intègre le slam et d’autres formes de poésie rythmée, urbaine.
Il s’agit là de l’une des marques de commerce du groupe, en plus du caractère physique, aussi intégré dans la musique. On gigue, on danse, on se frappe le corps et on rend très vivantes les percussions corporelles. Le mouvement va même au-delà du trad et on a l’impression à un moment d’être presque rendu dans un tablao espagnol lorsque Dominic Desrochers se met à marteler le plancher. Il a l’habitude d’explorer plusieurs formes de danses contemporaines qui nous projettent ailleurs.
Il joue aussi de la guitare et du ukulélé en chantant. Durant le spectacle, on n’est jamais bien loin de la chanson, même si des passages instrumentaux « groovent » et « rillent » fort. On pénètre aussi dans d’autres atmosphères : en valse délicatement habillée par le quatuor à cordes ou en folk avec un violon rythmique qui confère un effet hypnotique. Ailleurs, on turlutte et on harmonise les turluttes. On les rend même mélodiques. On sait aussi se faire très drôle en faisant « riller » le chant, surtout dans l’interprétation par Marie-Pierre du Rill pour rire que Diane Dufresne avait rendu célèbre. Ici, on a même trouvé le moyen de siffloter et de finir la pièce avec du chant jazz, toujours avec le sourire en coin.
Les choses sont devenues plus émouvantes lorsque les spectateurs ont commencé à simuler des battements de coeur en se frappant légèrement sur le corps pour annoncer Makusham en hommage à la culture innue. Tout y était : le sentiment, la langue et la présence de Joséphine Bacon qui s’est permis de danser sur la scène avec sa canne, tout cela précédé d’un extrait d’un poème de Natasha Kanapé Fontaine. Ici, les racines ancestrales et moins anciennes du Québec se rejoignaient le plus naturellement du monde. La lenteur de l’espace se transmettait dans l’offrande.
Ce qui précède a également été rendu possible par l’excellent multi-instrumentiste Jean-François Dumas. En plus d’être de tous les rythmes avec sa podorythmie et son cajon, il incarne le troubadour du voyage en s’accompagnant à la guitare, au banjo, à la mandoline et à l’harmonica. Au banjo, il est l’un des héritiers de Jean-Paul Loyer par sa façon aventurière d’utiliser l’instrument. Il « groove » en toute complicité avec Marie-Pierre pendant que Dominic se laisse souvent aller à la parole originale. Quelques lignes de Déclunaison paraissent d’ailleurs résumer la démarche poétique et musicale du groupe : « Je me fais un party de cuisine. Dans ma tête en sourdine. C’est la lune qui me répond ». Un exemple de l’originalité de Bon Débarras.