La constance s’appelle Joane Hétu

Joane Hétu en compagnie de Jean Derome
Photo: Maxime Corbeil-Perron Joane Hétu en compagnie de Jean Derome

S’il fallait baptiser la constance, autrement dit lui choisir un nom propre, alors Hétu Joane, avec un n seulement au prénom et sans h, conviendrait à merveille. Oui, à merveille. Car cette femme qui est altiste, compositrice, animatrice, bruitiste — oui ça existe ! — est également productrice déléguée de l’étiquette montréalaise Ambiances magnétiques depuis une bonne trentaine d’années. En d’autres mots, 30 ans, c’est un bail quasi emphytéotique.

Cette longueur de temps permet par ailleurs d’avancer ceci : chez Joane Hétu, la constance se conjugue avec l’opiniâtreté. À l’évidence de ce trait de caractère, il en aura fallu des doses. On exagère ? Nenni !

Au fil du temps évoqué et si l’on a bien compté, Hétu a mis la main à la pâte sur environ 250 albums. Quand on sait combien il est très difficile de maintenir le cap lorsqu’on est à la barre d’une maison qui a une conception de la culture qui n’est pas celle des industries culturelles, celle dominée par la conception économique dite de l’achalandage, on se dit que 250 disques égalent autant de luttes. De combats incessants.

Et dans quel but ? Afin de donner leurs places aux musiques actuelles, de mettre la lumière sur les artistes qui combinent la musique contemporaine, le free-jazz, les folklores, l’improvisation… En un mot comme en mille, afin d’accorder toute sa place à la liberté. Celle de l’artiste, il va sans dire.

Soyons honnête, voire franc du collier : des musiques actuelles, on ne connaît vraiment pas grand-chose. Mais voilà, comme on est un affreux privilégié — on reçoit leurs productions —, on a constaté, au fil des écoutes, que cette étiquette montréalaise était plus intéressante qu’ECM. On ne dit pas meilleure, mais bel et bien plus intéressante. Chez ECM, il y a toujours eu un « p’tit » côté BCBG qui explique, peut-être, une certaine timidité devant tout ce qui a trait à la prise de risque que commandent les musiques actuelles.

On peut être agacé, interloqué, imperméable à cette esthétique, reste qu’elle est l’écho sonore d’un monde dont ses artisans s’appliquent à démonter la complexité. Au ras des pâquerettes, cela s’est traduit par ceci : la publication toute récente de Joker – Chorale bruitiste, sous la direction de Joane Hétu et de l’Ensemble SuperMusique fondé et animé par Danielle Palardy Roger.

Pour reprendre les mots d’Hétu : « Joker s’intéresse aux sons marginaux, aux défaillances vocales, aux territoires périphériques, aux interstices entre les tons afin d’accéder à un chant choral, non par le biais du répertoire, mais par celui d’une langue à inventer. »

À cela, on ajoutera que certains des textes déclinés par Joker, qui rassemble douze chanteurs plus un narrateur également chargé des ambiances sonores, sont inspirés du Livre des étreintes d’Eduardo Galeano (Lux éditeur) et de La fin des temps d’Haruki Murakami (Points).

Quant à l’Ensemble, il regroupe 20 instrumentistes, plus 4 chanteurs, dirigés par Palardy Roger et Derome. Ils détaillent quatre compositions excédant chacune les 10 minutes. Que ce soit avec Joker ou avec l’Ensemble, la déstabilisation, l’aventure, l’étonnement sont au rendez-vous. On ferait un film muet aujourd’hui que ces albums seraient les compagnons parfaits aux images. Car c’est peut-être cela, Ambiances magnétiques, la traduction sonore de toutes les images du monde mondial.

 

Ami lecteur, si d’aventure vous êtes à New York du 5 au 10 janvier, sachez que le Winter JazzFest présentera sa 12e édition dans divers lieux de la ville. Au programme : le saxophoniste Kamasi Washington, les pianistes Craig Taborn, Cyrus Chesnut, Vijay Iyer, l’organiste Lonnie Smith et d’autres.

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