Geniusas, le piano chantilly

Geniusas surprend d’emblée par la félinité et la finesse de son approche.
Photo: Evgeniy Evtiukhin ICA Geniusas surprend d’emblée par la félinité et la finesse de son approche.

Âgé de 26 ans, le pianiste Lukas Geniusas se signale aux amateurs depuis qu’il a partagé, avec l’Autrichien Ingolf Wunder, le 2e Prix du concours Chopin 2010. Il a obtenu le même rang au Concours Tchaïkovski 2015, devançant ainsi l’autre Lucas qui fit fureur à Moscou à cette occasion, le Français Lucas Debargue.

Contrairement à Debargue, l’électron libre inclassable, Geniusas, issu du coeur du sérail du piano russe, a fait ses classes dans un cadre on ne peut plus corseté, puisque son père, lithuanien, est pianiste de concert et sa mère, russe, professeure au Conservatoire de Moscou, un endroit où Lukas Geniusas a suivi les cours de… sa grand-mère, Vera Gornostaïeva !

Sa prestation à Pro Musica lundi soir bat cependant en brèche les idées reçues sur un quelconque formatage qu’on nommerait arbitrairement « l’école de piano russe » et illustre le fait que, une fois sa formation achevée, un vrai artiste sait battre de ses propres ailes et imposer sa marque. C’est le cas de Lukas Geniusas, bien plus qu’une heureuse surprise lors de cette première apparition à Montréal.

Le pianiste attaque le concert avec les deux séries d’Études de Chopin, un bloc d’une heure suivi dans un silence de catacombes par un public médusé. C’est que Geniusas surprend d’emblée par la félinité et la finesse de son approche. Le Russe ne martèle pas les Études : il les émulsionne et semble les faire mousser. Dans ce piano léger comme une crème chantilly, tout chante avec une concentration et une sobriété surprenantes.

À vrai dire, j’ai rarement entendu autant de musique dans ces cycles — de la grande musique, plutôt que des études formelles sur la façon de dominer l’instrument.

Même si l’aura des concours sert beaucoup le pianiste au début de sa carrière, Geniusas est tout sauf une bête de concours que l’on viendrait observer : c’est un vrai artiste avec lequel on communique. J’insiste sur la sobriété et le goût de Lukas Geniusas : il ne triture jamais la ligne au profit d’un effet expressif, même si, partout, il recherche la caractérisation expressive.

Une nouvelle surprise nous arrive après la pause, puisque le pianiste use, à bon escient, dans Rachmaninov, de tout ce qu’on attend de la fameuse « école russe ». Le ton est plus lapidaire et péremptoire, le toucher plus profond. Grand chopinien, Geniusas est également un interprète passionnant de Rachmaninov. L’Opus 32 n°13 est particulièrement impressionnant, de même que la rare, courte mais très éloquente 2e Sonate de Prokofiev.

Voici un pianiste que j’ai bien envie de revoir. Il m’intéresse autant qu’un Evgueni Sudbin et nettement plus que des vedettes surfaites, genre Luganski.

Récital Lukas Geniusas

Chopin : Études opus 10 et 25. Rachmaninov : Préludes opus 32 n° 10 à 13. Prokofiev : Sonate pour piano n° 2, op. 14. Théâtre Maisonneuve, lundi 5 décembre 2016.

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