Jean-Marie Zeitouni et le tsunami Mozart

Programmer les trois dernières symphonies de Mozart dans un concert est une odyssée en soi. Mais enchaîner sans pause les douze mouvements comme une vaste épopée orchestrale promet une expérience musicale hors normes. Le défi, relevé par de grands orchestres baroques européens, est, cette semaine, dans la ligne de mire d’I Musici et de Jean-Marie Zeitouni.
Jean-Marie Zeitouni tentera une nouvelle fois de convaincre les mélomanes du formidable regain de forme d’I Musici de Montréal en proposant, ce jeudi à la salle Bourgie, un concert intitulé Mozart : l’apothéose. Chose inhabituelle : les Symphonies n° 39, 40 et 41 de Mozart seront enchaînées en un bain musical non-stop de 90 minutes.
Nous attribuions l’idée de faire des Symphonies n° 39, 40 et 41 de Mozart un « oratorio instrumental » à Nikolaus Harnoncourt, qui s’est battu pour ce concept à la fin de sa vie. « Je suis aujourd’hui convaincu que ces symphonies forment un tout. Rien que la genèse de leur composition est en soi inhabituelle, unique même », disait le chef autrichien, relevant le fait que les trois oeuvres ont été conçues l’une à la suite de l’autre en quelques semaines sans que Mozart y soit poussé par quelque commande. Harnoncourt est convaincu que Mozart a créé là une nouvelle forme musicale, révolutionnaire…
Une proposition logique
Jean-Marie Zeitouni, qui suit assidûment les percées de la musicologie, a été au fait de cette idée dès les années 90. « C’était, je crois, chez Frans Brüggen, en Hollande, que je l’ai vue pour la première fois, dit-il au Devoir. Il existe des liens indéniables au niveau de la forme et de l’enchaînement tonal. Le tout forme comme une grande sonate. »
Jean-Marie Zeitouni, qui a dirigé de nombreuses fois ces oeuvres séparément, est convaincu que le fait de « les jouer ensemble rajoute énormément de choses, notamment par rapport à l’intégration de la fugue dans la forme symphonique ». La forme fuguée « est associée au développement dans la 40e, puis complètement intégrée dans le Finale de la Jupiter [41e]. » Même chose sur le plan tonal : « Dans la résonnance du dernier accord de mi bémol majeur de la 39e, on peut commencer, dans la nuance piano, le sol mineur de la 40e. » « Je ne prétends pas que cela doit être ainsi », ajoute le chef, mais on remarque sans peine que l’idée même de cet enchaînement l’émeut.
« J’achète à peu près tout » des concepts d’Harnoncourt, dit Zeitouni, « sauf l’étiquette, car je reste un peu sceptique à l’égard de l’idée “d’oratorio instrumental” ». Comme Harnoncourt, le chef « pense souvent la musique de manière dramatique » et note que, dans les oratorios, le coeur (centre) de l’oeuvre est « le moment où l’on meurt ». « C’est là que se nichent les questionnements métaphysiques. Et dans ce triptyque, c’est le cas aussi : quand on arrive à la 40e Symphonie, toute la complexité du discours, la profondeur du langage, tous les déchirements harmoniques j’y souscris complètement, avec ou sans la référence d’Harnoncourt. »
Inviter et partager
Enchaînant les trois oeuvres, le chef va sacrifier les secondes reprises pour concentrer le propos et préserver l’impact. Jean-Marie Zeitouni, qui se réfère à l’enseignement de Raffi Armenian, note aussi que « les rapports métronomiques, les grandes pulsations de ces symphonies sont extrêmement compatibles entre elles ».
Les musiciens d’I Musici ont été ouverts au projet de ce monumental bloc symphonique d’une heure et demie. La chose ne va pas de soi, lorsqu’on opère avec « des conventions collectives, où l’on ne peut pas dépasser 90 minutes de musique de suite ». Jean-Marie Zeitouni avait besoin de l’aval des musiciens, car il ne veut pas avoir à minuter les tempos et les plages de respiration : « L’introduction de la 39e devient la seule introduction de l’ensemble et je veux pouvoir débuter cela, non pas en regardant un chronomètre, mais avec en tête les tempos des douze volets qui s’en viennent et leurs rapports entre eux. »
L’« épopée » prendra aussi en compte la respiration entre les mouvements : « Les Symphonies n° 40 et 41 gagnent beaucoup en impact si l’on enchaîne rapidement les 2e et 3e mouvements », remarque le chef. A contrario, Zeitouni laissera respirer le public à d’autres moments.
I Musici a invité pour ce concert 40 réfugiés syriens. La démarche va de soi : « Mon père est un Libanais d’Égypte, je suis donc très sensible aux cultures chrétiennes des pays arabes. Par ailleurs, dans notre conseil d’administration, Helen Fotopulos est très engagée dans la vie communautaire et l’intégration des immigrants. » Des élèves arméniens et syriens ont d’ailleurs déjà été invités depuis 2015, au grand bonheur de tous. « On ne force rien, mais on les invite. Pour nous, c’est un choc de voir la profondeur avec laquelle les enfants réagissent à la musique. Cette petite invitation a fait une grosse différence pour eux. Nous poursuivons donc dans cette voie. »