Pour la gloire de Mozart

Universal publie, en collaboration avec la Fondation du Mozarteum de Salzbourg, une « nouvelle édition complète » des oeuvres de Mozart. Un jalon majeur de l’histoire du disque est paru le vendredi 28 octobre à l’échelle mondiale.
L’objet est une véritable brique : 10 kilos pour 200 CD, plus deux livres, des reproductions à encadrer et le nouveau catalogue Köchel ! La Rolls Royce de l’édition phonographique est loin d’être à la portée de toutes les bourses, si bien que l’on peut s’étonner de ne pas avoir vu Universal organiser un système de souscription pour en faciliter l’acquisition.
Le prétexte de cette monumentale parution, sans conteste la plus ambitieuse de l’histoire du disque, est le 225e anniversaire de la mort de Mozart le 5 décembre.
Une mutation rapide
La première idée qui vient à l’esprit, si on ne l’a pas vu ou examiné, est que ce coffret ne serait guère plus qu’un ravalement de façade de la première intégrale Mozart, celle du bicentenaire, parue sur étiquette Philips en 1991. En réalité, rien n’est plus faux : 70 % du contenu est renouvelé ! Cette donnée est capitale, car la nouvelle édition (Mozart 225) permet d’appréhender le vent du changement qui a soufflé ces trente dernières années sur l’interprétation de la musique de la période classique.
Parue en 1991, l’ancienne édition Mozart avait un net parfum des années 1960 et 1970. La nouvelle édition (Mozart 225) est résolument actuelle par le choix des interprétations. Pinnock, Brüggen, Gardiner et Hogwood remplacent Neville Marriner en symphonique ; Mullova et Carmignola succèdent à Grumiaux dans les concertos pour violon ; les concertos pour piano sont joués par les pianofortistes Bilson et Levin, alors qu’Östman, Hogwood, Gardiner, Solti et Abbado sont choisis pour diriger les grands opéras. Immense honneur pour Yannick Nézet-Séguin : son enregistrement de Don Giovanni a été choisi dans cette édition de référence.
Vous l’avez compris à travers les exemples qui précèdent : le panachage des interprètes est une nouveauté, alors que l’édition 1991 reprenait telles quelles des intégrales (symphonies, concertos, sérénades) constituées. Universal est allé loin dans la variété, puisant, à travers des licences, dans les catalogues de 18 labels.
Autre nouveauté : Mozart 225 propose plusieurs interprétations (« Supplementary Performances ») des grandes oeuvres. Si vous n’aimez pas le pianoforte, Uchida, Pires, Brendel Schiff, Ashkenazy et Guilels vous consoleront au piano. Il y a même des « Classic Performances », avec des enregistrements historiques, tel le 27e Concerto pour piano par Curzon et Britten. Les oeuvres qui offrent plusieurs versions sont clairement signalées dans des livrets très bien conçus.
Nourriture de l’esprit
Ce qui est radicalement nouveau, c’est la profondeur de la documentation associée. Deux livres luxueux et reliés (plus de 300 pages en tout) offrent un contexte éditorial d’une haute tenue, sous la houlette de Cliff Eisen, musicologue, professeur au King’s College de Londres et spécialiste de Mozart. Nouveauté, car les livres sont unilingues : les 300 pages sont véritablement « utiles », car toutes en français. En conséquence, il y a des éditions anglaises, françaises et allemandes de cette boîte Mozart 225. Assurez-vous d’acquérir la bonne version ! Le premier volume de ces deux ouvrages est consacré à la vie de Mozart, alors que le volume II, véritable compagnon d’écoute, informe intelligemment sur chaque disque.
L’autre outil joint au coffret est le nouveau catalogue Köchel édité par le Mozarteum de Salzbourg, qui lie clairement chaque oeuvre au disque qui la renferme. Un outil sur Internet est nécessaire pour effectuer les quelques conversions (rares et marginales heureusement) entre les anciens et nouveaux numéros. Ainsi, lorsque l’on cherche le grivois Canon K. 382c, dont je donnerais ici le titre « Laisse-nous être heureux ! », l’outil Internet nous permet de trouver sa nouvelle numérotation, K. 231, à chercher dans le catalogue qui nous amène au CD 173, un volet de la rubrique « Mozart privé » (heureusement, car rangé à la rubrique « Mozart public », on appelait ça une partouze !). Au passage, on s’amusera d’en entendre une version aussi sérieuse !
Pour revenir aux choses essentielles, Mozart 225, c’est 4000 plages et 240 heures d’écoute. On y trouve toutes les oeuvres de Mozart, même ses arrangements, des oeuvres à l’authenticité douteuse (la si belle symphonie Concertante K. 297b est ainsi reléguée au CD 199 !), des fragments, des cadences, etc.
Les nouveaux enregistrements réalisés spécifiquement pour cette édition sont assez rares (cinq heures). À mes yeux, il y en a trois principaux. D’abord, le premier, par Francesco Piemontesi, de la sonate Alla turca d’après le manuscrit redécouvert en 2014, avec quelques changements notables dans le finale. L’excellent Piemontesi a été mis à contribution pour graver des fragments et de nouvelles reconstructions (par exemple la Suite K. 399 dans le CD 10). Un CD complet de l’Accademia Bizantina et Ottavio Dantone rajeunit le catalogue Universal des lectures de la Plaisanterie musicale et d’Une petite musique de nuit, où le chef encourage bruyamment ses troupes.
Enfin, plus anecdotiques, des captations des instruments de Mozart, dont un clavicorde, et l’enregistrement de la découverte musicologique la plus récente : un bref air (K. 477a) d’un peu plus d’une minute écrit conjointement avec Salieri. La chose a été découverte en novembre 2015 à Prague et enregistrée, dans un son étrange, en avril 2016 pour figurer ici.
Inépuisable est sans doute le mot qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque ce coffret. La différence par rapport à l’édition 1991 est fondamentale. À l’époque, Philips avait simplement publié des disques en coffrets thématiques, avec une petite notice pour chacun. Aujourd’hui, à l’inverse, Universal propose une approche culturelle, historique et intellectuelle du sujet, matérialisée par deux livres illustrés par une bibliothèque sonore complète. C’est, pour les promoteurs de ce projet, l’oeuvre d’une vie. Et ils peuvent en être fiers.