James Ehnes, gentleman violoniste

James Ehnes est depuis si longtemps un roc de notre paysage musical qu’on a peine à croire qu’il n’est âgé que de 40 ans. Le plus grand violoniste canadien de l’histoire a décidé, pour l’occasion, de tourner au pays en récital avec son partenaire musical de toujours, Andrew Armstrong. Le calendrier d’Ehnes, virtuose sollicité par les plus grands orchestres et comparable aux plus grands anciens — le Globe and Mail évoqua jadis Jascha Heifetz, mais, pour nous, son élégance naturelle fait penser à Nathan Milstein —, montre que la musique de chambre y reste omniprésente. On ne peut que rêver d’assister, en avril 2017 à Carnegie Hall, au concert annuel en mémoire d’Isaac Stern, où il se joindra à Leif Ove Andsnes, Tabea Zimmermann et Clemens Hagen dans les Quatuors avec piano de Brahms et on s’amusera au passage de voir engagé pour rendre hommage à Stern, qui jouait faux comme pas un, le mètre étalon de la justesse.
Un récital de James Ehnes est d’abord impressionnant pour cela : cette majesté musicale et instrumentale, cette impression, rassurante pour l’auditeur, de tout dominer. C’est peut-être de là que vient la comparaison avec Heifetz, dont l’ombre planait dans ce récital groupant la 5e Sonate de Beethoven et celle de Franck (qu’Heifetz aimait tant) et qui débutait par Prélude et Allegro dans le style de Pugnani de Kreisler, dont le grand Jascha fut l’interprète suprême. James Ehnes en est un digne successeur, mais, avec moins de surpuissance et ce moelleux, façon Milstein, qu’on apprécie tant.
L’art de James Ehnes se niche dans la manière d’attaquer et de faire naître le son. S’il n’était d’un barbarisme loufoque, j’inventerais le concept d’« immatérialité tangible ». C’est la Sonate « Printemps » qui m’y a fait penser, et plus particulièrement l’attaque de la 1re phrase du 2e mouvement. Il est assez malaisé de commenter un tel récital, si évidemment parfait. Analyser la production sonore et la manière d’enchaîner les phrases, c’est rentrer petit à petit au coeur d’un mystère qu’au fond on n’a pas envie de percer.
Ehnes a le défaut de ses qualités. Le gentleman ne se salit pas les mains, y compris dans Tzigane que l’on peut trouver « trop parfait », car manquant de raucité. Mais tout est tellement beau qu’on en redemande. Le public l’a fait et Ehnes et son très solide pianiste lui ont généreusement offert Introduction et Tarentelle de Pablo de Sarasate et une Berceuse de Sibelius en rappel.
Un dernier mot pour encourager les équipes de la Maison symphonique à repenser le réglage de la salle pour les récitals lors desquels mezzanine et balcon sont inoccupés. Le son n’est pas assez focalisé et semble subir une déperdition par l’arrière. Ne faudrait-il pas tirer quelques rideaux ? Par ailleurs, quelque chose grésillait en arrière de la salle.