La jeune femme aux sons sales

MEG Montréal, vitrine musicale mettant à l’avant-scène de nouveaux talents de France, de Suisse et d’ici, débute ce soir dans une poignée de salles de spectacles de la métropole. Durant les dix prochains jours, une trentaine d’artistes de la relève en hip-hop, en musiques électroniques et dans tout ce qui navigue entre ces deux pôles musicaux feront l’étalage de leur créativité. Découvrons celle de RYAN Playground, jeune productrice, auteure, compositrice et interprète au talent aussi vif que précoce.
Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, disait Paul Éluard. Le nôtre devait se produire. « Tu sais, mon grand-père fut directeur du Devoir », nous confie sur un ton enjoué la musicienne, qui a adopté le nom de scène RYAN Playground. Ah, mais c’est donc pour ça, RYAN ? Comme dans Claude Ryan, directeur de ce journal de 1964 à 1978, devenu ensuite chef du Parti libéral du Québec ? Tout juste, oui.
Elle se prénomme Geneviève, et si en plus vous croyiez reconnaître son visage, c’est parce que celui-ci gracie les pages glacées des magazines de mode depuis qu’elle a l’âge de quinze ans — elle en a aujourd’hui vingt-trois. Ainsi, la petite-fille de Claude Ryan est mannequin et compose des beats hip-hop expérimentaux sur lesquels elle chante aussi à l’occasion, de sa voix diaphane voilée par des effets de studio.
« Je chante pour accompagner mes pièces instrumentales, et non l’inverse. J’ai toujours aimé chanter ; lorsque j’étais petite, je chantais en jouant de la batterie ! »
Jeudi prochain, elle présentera son matériel dans un DJ set au Belmont, boulevard Saint-Laurent, en compagnie de deux autres découvertes électroniques, les Montréalais Tibe et WYLN.
De parents musiciens
Nous n’avons pas parlé politique, et très peu de son métier de modèle, sinon pour préciser qu’après avoir fait le tour du monde pour de nombreux shootings, elle est devenue plus parcimonieuse dans le choix de ses engagements. « J’évite les défilés et ne prends que de gros contrats de mode », dit Geneviève.
La musique n’a jamais été qu’un passe-temps entre deux contrats ; Geneviève est d’ailleurs musicienne depuis plus longtemps qu’elle fait du mannequinat, ayant baigné dedans depuis sa naissance, ses parents étant tous deux instrumentistes professionnels. « De la musique classique ! » précise-t-elle : papa, clarinettiste retraité, et maman, violoncelliste, tous deux associés à l’Orchestre métropolitain.
« Ils aiment beaucoup ce que je fais, je me permets de le dire. Ce sont des fans numéro un, très ouverts, même lorsqu’ils hésitent parce que je mets des gros bruits et de la basse qui distorsionne. Ils me demandent parfois : pourquoi tu salis ton son comme ça ? »
Multi-instrumentiste
Comme plusieurs producteurs de sa génération, RYAN Playground s’est initié à la composition électronique grâce au logiciel Fruity Loops, installé dans son vieux PC. Elle a grandi avec la pop-punk des Blink-182 de ce monde, connaît très bien son répertoire classique pour avoir appris le violon, joue aussi de la guitare, de la basse et de la batterie. C’est par la synthpop de l’américain Owl City que ses intérêts musicaux ont divergé vers les boîtes à rythmes. « J’y retrouvais les mélodies et l’énergie de la pop-punk que j’aimais, mais avec toutes sortes de sons bizarres… J’ai eu envie de faire le même genre de sons. »
Sur Elle, son épatant premier EP de huit compositions paru en janvier dernier sur Secret Songs, l’étiquette du producteur hip-hop instrumental néo-écossais Ryan Hemsworth, RYAN Playground semble avoir tout évacué des ritournelles pop-punk, mais massacre affectueusement ses rythmiques hip-hop.
Grâce à son bagage de musique classique, elle démontre un véritable sens de la structure et de l’harmonie, mais imbibe ses rythmiques subtilement déconstruites de ses influences musicales récentes, comme celle du producteur américain Clams Casino, qui vient juste de lancer un nouvel album intitulé 32 Levels.
« Oui — et me revoilà obsédée encore ! commente Geneviève. Sa musique a une grande influence sur ce que je fais : les productions bruyantes, la batterie violente, l’atmosphère sombre, mais en même temps pleine d’énergie. » Lorsqu’elle chante, sa musique se compare sans gêne au r b expérimental de FKA Twigs, les mélodies pop parvenant à faire surface, comme si une chanson s’extirpait d’un amas de bruits électroniques.
RYAN Playground a déjà fait une petite tournée canadienne en première partie de Ryan Hemsworth et s’envole pour quelques festivals dans les prochains jours. Un nouvel album est déjà en chantier, ainsi qu’une collaboration avec ses amis Robert Robert, en concert au Belmont samedi dans le cadre de MEG Montréal, et Thomas White, « baptisée Archi-chic, de la musique de club violente », dit-elle avec un sourire coquin.
Le projet Archi-chic sera lancé au prochain festival Mode et design en août prochain, et probablement que ses parents trouveront ça un peu sale.