Le destin chargé de l’Orchestre de Bamberg

L’Orchestre symphonique de Bamberg
Photo: Peter_Eberts L’Orchestre symphonique de Bamberg

Deutsche Grammophon publie un coffret de 17 CD retraçant les 70 années d’existence de l’Orchestre symphonique de Bamberg, une institution à nulle autre pareille.

Le 5 mai 1945, l’Orchestre philharmonique allemand de Prague répète sous la direction de son chef, Joseph Keilberth, lorsque des coups de feu se font entendre. C’est le soulèvement populaire praguois, la chasse aux sorcières envers tout ce qui est allemand. La répétition est interrompue, le Konzertmeister de l’orchestre sera tué, les autres en réchapperont.

La tradition interculturelle germano-bohème remonte au XIXe siècle. Elle a été longtemps incarnée par le Théâtre allemand de Prague, où l’on a vu se produire Gustav Mahler, Alexander Zemlinsky, George Szell et Richard Strauss.

En mai 1945 c’est la purge, la débandade finale. Mais l’orchestre ne se dissémine pas : les musiciens fuient vers l’Ouest et arrivent en Bavière, à Bamberg, où ils créent, en 1946 le Tonkünstlerorchester Bamberg, qui deviendra en 1949, l’Orchestre symphonique de Bamberg. Joseph Keilberth (1908-1968) en sera, fort logiquement, le premier chef, ce qui le rapprochera de Bayreuth (les deux villes sont distantes de 65 km), où il donnera en 1955 un Ring des Nibelungen de légende.

Même si les musiciens sont allemands, l’Orchestre de Bamberg gardera toujours cette image d’« orchestre tchèque en Europe de l’Ouest », avec les particularités que cela implique dans les sonorités des instruments à vent.

Historiquement, Joseph Keilberth, Rudolf Kempe et Istvan Kertesz ont gravé de superbes disques à Bamberg. La noyade accidentelle de Kertesz en 1973, quelques mois après sa nomination au poste de directeur musical, en tant que successeur de Keilberth, lui aussi mort brutalement, fut une tragédie pour la musique et pour Bamberg.

Eugen Jochum fit certes, en Bavière, des intérims appréciés, mais sous James Loughran et Horst Stein, une sève et un lustre s’estompaient. C’est Jonathan Nott qui, depuis 2000, a totalement remis Bamberg sur le devant de la scène musicale. Le Tchèque Jakub Hrusa vient de lui succéder. Un excellent choix et un singulier retournement de l’histoire.

L’hommage

Le coffret publié par Deutsche Grammophon trace un juste portrait sonore de cette histoire. Les documents sont tirés du fonds DG pour une petite part (disques de Fritz Lehmann et Ferdinand Leitner) et font appel aux fonds Warner (enregistrements Keilberth) et BMG, car Bamberg a beaucoup enregistré pour Ariola Eurodisc. On retrouve ainsi la Symphonie inachevée de Schubert par Kempe (un trésor), la 4e de Bruckner et la Symphonie alpestre de Horst Stein et les ultimes enregistrements d’Eugen Jochum (Strauss, Mozart, Beethoven). L’ère Nott est documentée par la Symphonie Titan de Mahler et Le sacre du printemps du catalogue Tudor.

Le coffret est surtout pimenté par l’ajout d’enregistrements inédits en CD dénichés dans les trésors de la Radio bavaroise. Sont ainsi documentées des archives historiques, comme Clemens Krauss dirigeant l’ouverture Oberon et Istvan Kertesz dans une 4e Symphonie de Mahler (honorable, sans plus), ou des collaborations ponctuelles récentes. À ce titre, on découvre une Pastorale par Kurt Sanderling, des Métamorphoses de Strauss par Giuseppe Sinopoli, une 9e de Bruckner par Günter Wand, une 4e de Brahms par Herbert Blomstedt, une 4e de Schumann par Christoph Eschenbach et du Wagner et Strauss par Jonathan Nott.

Un émouvant document constitue le 17e CD. Il s’agit d’enregistrements de 1940, 1942 et 1944, à Prague, de l’Orchestre philharmonique allemand de Prague, dans la 38e de Mozart, la 1re de Schumann et le prélude du Palestrina de Pfitzner sous la direction de Keilberth.

Représentatif et conçu avec talent, voilà un modèle de coffret commémoratif.

Bamberg Symphony – The First 70 Years

Deutsche Grammophon 17 CD 479 5805

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