Ce que cette voix réclamait

Ce serait trop, dire que ça s’entendait déjà, tout ce déploiement orchestral, à partir de sa seule voix, chantant J’échoue à la finale du concours Ma première Place des Arts, en 2006. Je n’en pense pourtant pas moins. Quand ses magnifiques notes s’élevaient alors, moi et ma machine à voyager dans le temps, on aurait juré qu’il y avait un orchestre dans sa tête et qu’Alexandre Désilets était en train de préparer l’extraordinaire Windigo, tel que créé ce mercredi soir au Gesù, fameux coup des FrancoFolies de Montréal.
De la même façon qu’un Brian Wilson avait tout l’album Pet Sounds dans sa tête avant de le transposer en arrangements de génie pour les voix de ses Beach Boys et les musiciens du Wrecking Crew (les as des studios de Los Angeles dans les années 1960), c’était là. Potentiellement là. Désilets a certes enregistré depuis 2006 trois albums de qualité, cherchant sa manière de l’un à l’autre, remplissant l’espace ici, privilégiant le groove là, mais l’évidence frappait : le gars cherchait. Se cherchait. Et il a trouvé. S’est trouvé. Avec l’aide de François Richard pour la transposition en arrangements, on a enfin eu accès à ce qu’Alexandre entendait. Imaginait. Souhaitait dans ses rêves fous. Et c’était précisément ce que ses mélodies, son timbre, son registre attendaient depuis le début : des modulations extrêmes, des audaces sans compromis, des élans d’une rare beauté. Un propos, aussi. Windigo : cet espace en soi, ce manque que l’on n’arrive jamais à combler. Jamais ? Jusqu’à cet album lancé mercredi soir en même temps que sa version scénique.
Le geste, en soi, parle. Alex a pris les mêmes chansons, et il a recommencé. Une dizaine de chansons existantes et fixées sur disque, plus deux inédites. Les a couchées sur une grande page blanche, et il a tout reconstruit. Sur scène, avec les seize musiciens et les deux choristes, des naissances avaient lieu. Des renaissances. Les prévisions, Hymne à la joie, Plus qu’il n’en faut, Si loin étaient révélées à elles-mêmes et à nous : ces chansons, nous en prenions la pleine mesure, nous en découvrions les possibles. On en oubliait complètement les moutures d’avant. C’était du neuf.
Il se passait toutes sortes de choses difficiles à décrire : des saillies de percussions à deux batteries qui n’étaient pas des solos mais des tremblements de terre, des cuivres et des violons qui élargissaient la salle du Gesù, remontaient le plafond, fournissaient de l’horizon et de la perspective. Un écran circulaire ajoutait des images, comme si c’était le cerveau d’Alexandre qui les générait. Par moments, je songeais à L’Heptade, rien de moins, ou au Mutantès de Pierre Lapointe : l’extrapolation d’une vision. Et jamais, dans tous ces sons, le chanteur ne se perdait : souverain, heureux, il chantait à partir du ventre et du coeur, enfin à sa bonne place, enfin à SA place.
Je ne sais pas si l’album fait autant d’effet que le spectacle : j’ai eu mon exemplaire juste avant le spectacle. Je vais vérifier sur le chemin du retour. On en reparlera. Je sais cependant ceci : Windigo va exister un jour à Wilfrid, et peut-être même en grand spectacle extérieur. Et ceux qui étaient au Gesù mercredi se vanteront, à raison, d’avoir assisté à la grande floraison d’un artiste immense.
