L’album de toutes ses ambitions

Entendre Alexandre Désilets parler de son nouvel album Windigo donne un peu le tournis. À le croire — et on est prêt à le croire —, ce disque ambitieux où il adapte son répertoire en version orchestrale est quelque chose comme l’oeuvre d’une vie, l’aboutissement de dix ans de dur labeur, l’ultime métamorphose d’une partie de son répertoire. Et tout était prévu depuis le début, raconte le chanteur.
À l’écouter, ses trois disques de chansons rock, électro et parfois un peu hors des sentiers battus, Escalader l’ivresse (2008), La garde (2010) et Fancy Ghetto (2014), c’était pratiquement en attendant ce grand Windigo, où il offre dix anciens titres et deux nouvelles pièces, arrangées ou réarrangées. « Quand j’ai commencé ma carrière, je voulais finir par faire un album où clairement la voix et le texte allaient être mis en avant-plan, où ce ne serait pas expérimental. J’attendais d’avoir les moyens et les capacités de le faire. Mais je composais en fonction de ça, je savais que j’allais faire un album orchestral, je rêve de ça depuis 10 ans. »
Pendant toute sa carrière, on lui a dit qu’il aurait dû faire des disques plus épurés, pour mettre en valeur sa voix, mais il trouvait l’idée trop facile. « J’avais l’impression que je n’allais rien apprendre, et j’avais peur d’être pris là-dedans, qu’on s’attende toujours à ça de moi. Maintenant, je peux faire ce que je veux, je sens que j’ai cette liberté-là. »
Sans compromis
Les astres étaient donc alignés pour que son rêve devienne réalité. Avec l’arrangeur François Richard, Désilets a ouvert ses tiroirs pour retrouver ses vieilles maquettes, déjà riches en mélodies et en contrepoints. Ils ont tout réécouté, avant de trier et de retravailler. Puis, avec l’ingénieur de son émérite Rob Heaney, ils se sont installés au studio 12 de Radio-Canada avec 16 musiciens, issus du monde classique, mais pas que.
C’est à partir de là dans l’entrevue que Désilets répétera plusieurs fois : « Je n’ai fait aucun compromis. » Pas de sacrifices sur le lieu — « un studio magnifique » —, sur le temps, sur l’énergie, sur l’argent, sur le choix des musiciens, surtout. « On a pris des gens de très haut calibre, qui n’ont pas oeuvré seulement dans le classique, mais aussi dans la pop. Ça reste des pièces difficiles à jouer, il y a des grooves à installer. On avait une bonne section rythmique, avec Olivier Langevin, Mathieu Désy, Alexis Martin, Robbie Kuster. C’était très solide. Et il y a des musiciens classiques aguerris, qui sont habitués à faire du jazz aussi, du gipsy, du manouche… »
Les cordes, mais aussi beaucoup les cuivres, donnent une autre vie à ces chansons, parmi lesquelles on note L’éphémère, Si loin, J’échoue et Les prévisions. « On voulait qu’il y ait une influence indie, que ce soit un projet orchestral, mais avec une coolness dedans. On avait aussi différentes références, du Fiona Apple, du Ray Lamontagne, des projets américains et britanniques, pour que ce soit quelque chose qui ne fonctionne pas juste au Québec, mais aussi chez le public français. »
Et pourquoi pas le public américain ? dit-il. Son projet va jusque-là. Tant qu’à avoir fait tout ça, continuons jusqu’au bout. « Je suis en pourparlers. Ça serait plus des adaptations, j’aimerais donner le mandat à un auteur. T’enlèves la voix et tu repars à zéro. Tu peux raconter autre chose, mais te servir des mélodies, de ces arrangements-là. J’ai aucune honte à réemballer mes affaires et à les présenter pour d’autres publics. C’est l’oeuvre d’une vie. »
Et en attendant, Alexandre Désilets sera en spectacle au Gesù, dans le cadre des FrancoFolies, avec tout son orchestre, et six chansons de plus que sur le disque. « On va être 19 avec moi sur scène. C’est capoté, hein ? Mais ça fait partie de ma personnalité. Je ne suis pas mégalo, mais je suis ambitieux, je trouve ça excitant qu’on ose aller là. L’idée, c’est juste de ne pas sombrer, c’est de faire quelque chose de grand pour être content et satisfait, pour le trip. »

Alexandre Désilets - Perle rare