Le goût de l’hiver londonien

Le compositeur et remixeur britannique Rival Consoles, de son vrai nom Ryan Lee West
Photo: Lenka Rayn H. Le compositeur et remixeur britannique Rival Consoles, de son vrai nom Ryan Lee West

Un an après sa performance remarquée au festival MUTEK, le compositeur et remixeur britannique Rival Consoles (Ryan Lee West) ramène ses machines au Centre Phi pour une soirée de musique électronique polyrythmique et mélancolique, dans la veine de son plus récent album, Howl, paru l’automne dernier sur l’étiquette Erased Tapes. Conversation avec ce Londonien originaire de Leicester, pas trop fan de foot, mais ravi de l’exploit sportif réalisé par le club de son patelin.

« Tu sais quoi ? Ça fait longtemps que je ne suis plus le football en général, mais cette année, j’y suis revenu parce que… C’est incroyable comme histoire, non ? J’ai beaucoup d’amis d’enfance qui sont absolument extatiques devant la victoire de Leicester City F.C. », modeste équipe partie du fond du classement de la prestigieuse Premier League pour en prendre la tête et finalement remporter le championnat national, une première en 132 ans d’existence.

« Plusieurs de mes amis sont aussi musiciens, ou bien travaillent dans des domaines créatifs, et ont dû quitter Leicester pour Londres où les perspectives d’emploi semblaient meilleures. Ensemble, on a d’autant plus l’impression de se reconnaître dans cette équipe qu’il y a quelque chose d’inspirant dans le succès d’un groupe de gens dont personne n’attendait quoi que ce soit. »

Virage esthétique

 

Ryan Lee West a remporté son propre petit championnat en lançant Howl en octobre dernier. Non seulement le disque a fortifié sa présence sur la scène électronique mondiale, mais il l’a fait en marquant un virage esthétique pour ce musicien, guitariste depuis l’âge de douze ans, autrefois fortement influencé par le style aride et abrasif des hérauts de l’électronique dite « intelligente » des années 90 en Angleterre, nommément Aphex Twin et Clark, de l’écurie Warp.

Avec Howl, Rival Consoles a jeté ces références par la fenêtre, un geste longuement mûri. « La raison pour laquelle j’ai mis du temps à en arriver là, c’est que j’ai moi-même mis du temps à savoir ce que je voulais faire vraiment en musique. C’est à force d’essayer, d’expérimenter, de se lasser de certains motifs ou de tomber en amour avec de nouvelles sonorités que j’ai fait ce disque. C’est un processus, grandir avec son art, savoir jouer avec ses limites et celles de ses instruments. »

Jouer avec les limites de ses instruments, et savoir s’en inspirer. Pour Howl (et les deux EP qui annonçaient ce virage), le moment eurêka est survenu lorsqu’il a mis ses mains sur un Prophet '08, réputé synthétiseur analogue dont les chaudes sonorités sont présentes de la première à la dernière pièce de cet album aux rythmiques plus linéaires, sur lesquelles il brode de fines mélodies et tisse des ambiances douces-amères, souvent brouillées par des sons enragés.

Le plus bruyant du label

 

Ainsi, West s’affirme comme la caution techno du label anglais Erased Tapes, qui s’est davantage fait connaître ces dernières années pour ses excursions du côté des musiques avant-garde et classique contemporaine. Avec ses ponctions rythmiques rigides et ses progressions harmoniques typiques du techno, Rival Consoles sert de contrepoids aux recherches pianistiques de Nils Frahm ou aux oeuvres orchestrales de Lubomyr Melnyk, deux autres pointures de la maison de disques.

« En même temps, je n’estime pas faire de la musique techno à proprement parler, dans la mesure où je ne pense pas aux planchers de danse dans mon travail, et qu’il comporte des éléments de composition qui ne cadrent pas avec la musique de club, tempère West. Par contre, je suis assurément l’un des artistes du label les plus bruyants, rythmés et électroniques, en opposition aux oeuvres plus polies et plus raffinées de certains autres artistes. Il est vrai que Nils Frahm, par exemple, est plus patient avec sa musique ; je crois être plus chaotique avec la mienne. »

L’artiste promet en tout cas de l’être au Centre Phi samedi soir, avec une performance en constante évolution qui s’appuie aussi sur les projections dynamiques d’un VJ. « Je pense que la principale fonction de la dimension visuelle de la performance est de révéler certains détails, certains éléments de mes compositions, en mettant l’accent sur des notes ou des passages musicaux, explique West. Tout ce que fait le VJ est en direct, il n’y a pas de repères avec la musique, c’est comme s’il jouait d’un autre instrument en même temps que moi. Tout est créé sur le moment. »

La tournée se poursuivant encore pour les prochains mois, Rival Consoles projette de lancer un nouvel EP durant l’été, intitulé Night Melody. « Six pièces, plus de trente-cinq minutes, c’est quasiment un nouvel album, finalement. Ces compositions s’inscrivent vraiment dans la suite de Howl : toutes de nouvelles pièces, composées et enregistrées durant l’hiver parce que j’avais du mal à exister dans cette absence de lumière caractéristique de l’hiver à Londres. Bon, il y a quand même pas mal de couleurs et de contrastes dans ma musique, mais oui, ce sera encore assez mélancolique… »

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