La mémoire vive de Prince dans son quartier d’enfance

Dean Spencer, ami d’enfance de Prince, devant l’une des maisons que le chanteur a habitées pendant son enfance à Minneapolis.
Photo: Mark Ralston Agence France-Presse Dean Spencer, ami d’enfance de Prince, devant l’une des maisons que le chanteur a habitées pendant son enfance à Minneapolis.

Ce jour où Prince s’est assis sur la scène du lycée pour jouer de la guitare, Dean Spencer a eu une petite révélation : l’adolescent chétif que tous nommaient « Skipper » était en fait doté d’un extraordinaire talent.

« Il était au clavier et puis, d’un seul coup, il a bondi, s’est assis sur le côté de la scène et a commencé à jouer du Carlos Santana », virtuose de guitare électrique, se souvient l’homme de 58 ans qui a grandi dans le même quartier que Prince, à Minneapolis, ville du nord des États-Unis.

« C’était la première fois que je l’entendais jouer de la guitare et c’était magistral. C’était un sans-faute, exactement comme Carlos Santana », dont les solos et la rythmique ne sont pas à la portée des guitaristes en herbe.

À l’époque, Dean Spencer ne savait pas qu’il avait devant lui, en puissance, un des artistes les plus accomplis et respectés de sa génération.

Féru de sport, Dean Spencer se demandait plutôt comment un adolescent aussi discret, délicat et petit que ce « Skipper » pouvait être si bon au basketball.

« Ce gars-là jouait des percussions, de la guitare et tout le reste. Pour lui, dribbler ce n’était rien. Il était comme ambidextre, sa coordination était déjà là », se remémore M. Spencer.

Petite ville à l’aune des États-Unis, avec une population de moins de 500 000 habitants et où le thermomètre peut descendre l’hiver à -40 °C, Minneapolis est aux antipodes des métropoles comme New York ou Los Angeles.

Parents musiciens

 

Prince Rogers Nelson y est né en 1958 de parents musiciens de jazz. Son père est pianiste et sa mère chanteuse. Mais le couple se sépare lorsque l’auteur de Purple Rain a dix ans.

Après la rupture, il est transbahuté de proche en proche, de maison en maison, et passe une longue période chez son ami d’enfance Andre Anderson, aujourd’hui le bassiste et producteur Andre Cymone.

Les Anderson vivaient au 1244 avenue Russell. Prince dort au début dans la chambre d’Andre, avant de migrer au sous-sol où la mère d’Andre, Bernadette, le laisse répéter, d’après le livre de Ronin Ro Prince : Inside the Music and the Masks.

Selon Ro, c’est grâce à Bernadette que Prince a réussi à terminer ses études secondaires, car elle lui donnait la liberté d’être lui-même en échange de son assiduité en classe.

Dean Spencer était un proche d’Andre, qui jouait de la basse dans le premier groupe d’un Prince âgé de 14 ans, et de Terry Jackson, qui était aux percussions et vivait tout près des Anderson. « À l’époque, nous l’appelions Skipper. C’était le seul nom que je lui connaissais avant qu’il sorte son premier album. »

C’était en 1978. Prince venait de lancer For you. Dean Spencer l’a salué dans la rue pour le féliciter de son premier opus, prélude à une carrière riche et mouvementée. Et il ne l’a plus jamais revu, même si l’artiste a continué à vivre et créer à Minneapolis.

À l’époque, la population de l’avenue Russell était noire. « Tout le monde connaissait tout le monde dans le quartier. C’était un quartier de la classe moyenne. Tout le monde travaillait dur, tout le monde avait du boulot, mais malgré cela il y avait quand même des familles déchirées », raconte M. Spencer.

La maison des parents de Prince était située à une dizaine de minutes de marche de celle des Anderson, au 915 avenue Logan.

En juillet dernier, l’artiste est retourné sur place. Au grand étonnement d’Alda Reed, 26 ans, qui bavardait au téléphone lorsqu’elle a aperçu un homme et une femme prendre des photos de sa maison.

« J’ai dit : “oh mon dieu, mais vous êtes Prince” », raconte-t-elle à l’AFP. « Et il a répondu : “non, ce n’est pas moi”. Et j’ai rétorqué : “oui, c’est bien vous. Vous êtes Prince”. »

L’artiste avait garé sa Corvette noire au bas de la rue. Il était vêtu d’un chapeau, d’un pantalon, de bottes et d’un pull à capuche pour ne pas attirer l’attention. « Il était très timide et parlait avec douceur », se souvient la jeune femme qui lui a fait un câlin avant de courir appeler sa mère.

Ce n’est que cette semaine, après la mort-surprise du prince de la pop, lorsqu’elle a entendu dire qu’il travaillait sur ses mémoires, qu’elle a compris la raison de cette visite. « Cette maison devait signifier beaucoup pour lui, sinon pourquoi serait-il venu ici prendre des photos. »

La résidence familiale de la jeune femme a en fait été construite après que celle de la famille de Prince fut démolie. La famille Reed n’a eu vent de ce lien qu’après avoir emménagé il y a deux décennies, par l’entremise de journalistes qui appelaient à la maison. « À l’époque, c’était un quartier dur. Mais aujourd’hui, c’est plus calme. C’est très paisible. »

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