Les forces paradoxales de Suuns

Le groupe Suuns n’a pas enregistré à Montréal mais à Dallas, avec trois semaines pour boucler le tout.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Le groupe Suuns n’a pas enregistré à Montréal mais à Dallas, avec trois semaines pour boucler le tout.

Les forces qui traversent l’auditeur à l’écoute du nouveau disque du groupe montréalais Suuns sont paradoxales. Leur rock aventureux, plus chanté que jamais, nous insuffle une énergie vibrante, dense, nerveuse. Et en même temps, il y a quelque chose de froid dans ces onze nouvelles chansons, quelque chose qui évoque la chape de plomb, l’inertie. Une tension qui explique bien le titre de ce troisième album, Hold/Still.

Suuns nous reçoit rue Duluth à Montréal, dans un petit local aux murs vieillots tout blancs et aux grandes vitres. Le groupe est formé du chanteur Ben Shemie, du guitariste Joseph Yarmush, du batteur Liam O’Neil et du claviériste Max Henry, qui a à peine le temps de prendre la pose avant de filer à un cours, un bouquin sous le bras. Ils sont tous nés dans la métropole ou alors arrivés en bas âge au Québec, et oscilleront entre le français et l’anglais au fil des questions.

La discussion commence autour d’une copie vinyle de Hold/Still, qui traîne sur la grande table de bois du local. On y voit encore mieux la photo sombre et fantomatique qui orne le disque. On devine une femme assise, le visage éclairé d’un seul côté, le regard dirigé en dehors du champ. Il y a beaucoup de grain, du flou même.

« Ça, c’est pris avec une pinhole camera, un genre de camera obscura, raconte Joseph Yarmush. Ça prend quand même trois ou quatre minutes pour prendre une photo. Ça ramène au nom du disque. “ Bouge pas, ça prend du temps ”. »

Ben Shemie a l’impression que cette idée d’immobilité commandée se retrouve également dans ce disque. « Dans les paroles, il y a beaucoup de “ you ”, on parle à “ toi ”, et les chansons sont un peu autoritaires, comme quand un médecin te dit de ne pas bouger. »

Prendre des risques

 

Suuns s’est mis en danger pour l’enregistrement de ce troisième disque. Pour la première fois, les quatre musiciens ont fait appel à un réalisateur, leur choix s’étant arrêté sur John Congleton (The Walkmen, Clap Your Hands Say Yeah, St. Vincent). Suuns avait travaillé avec le Montréalais Jace Lacek dans le passé, mais ce dernier agissait plus à titre d’ingénieur de son.

« John a travaillé avec nous sur la musique, jusque dans l’exécution, dit Ben Shemie. Il était moitié diplomate, moitié conseiller. S’il n’aimait pas quelque chose, ou si quelque chose ne le touchait pas, il nous le disait. C’est bien, mais c’était difficile. Parce que des fois t’es pas d’accord ! »

Autre nouveauté, le groupe n’a pas enregistré à Montréal, mais à Dallas, lieu de résidence de Congleton. Pas trop le temps de lambiner, donc, parce que les choses doivent se faire dans les temps, et dans le budget. Suuns a pris trois semaines à boucler le tout, travaillant chaque jour de 10 h à 18 h.

« C’était plus insulaire, moinscasual, plus concentré, raconte le discret Liam O’Neil. Mais ce n’était pas tant du fait d’être à Dallas, mais juste d’être à un autre endroit. John était très concentré à la tâche aussi. Quand on enregistrait, on faisait ça, et rien d’autre. C’était très intense. »

Joseph hoche la tête en signe d’approbation. « Ça nous a forcés à rendre des décisions rapides, alors qu’à Montréal, on aurait pu passer une journée complète à tourner autour du pot. »

Hold/Still, conçu comme un vinyle avec une face A plus rythmée et une face B plus rêveuse, amènera Suuns un peu partout dans le monde. L’Europe les aime beaucoup, et le groupe le lui rend bien, la visitant régulièrement depuis plusieurs années. « On a fait, quoi, 20 tournées en Europe ? demande Ben à ses collègues. Au début, c’était la place naturelle où aller en dehors de Montréal et Toronto. Et maintenant, chaque fois c’est plus gros. »

C’est d’ailleurs l’objectif de Suuns avec Hold/Still : continuer de gagner des fans et de remplir de plus grosses salles. « Dans la musique aujourd’hui, le live c’est de plus en plus important, dit Joseph. Le spectacle est la réflexion la plus juste de qui on est. Et je veux que le monde nous connaisse. » Prenons ça comme une invitation à ne pas rester immobile et à aller les voir sur scène.

En spectacle le 16 avril à Carleton-sur-Mer, le 19 avril à Trois-Rivières et le 20 avril à Montréal.

Hold/Still

Suuns, Secretly Canadien