Le roi-poète des amoureux

L’ensemble Constantinople a invité deux Ashiks, qui sont des troubadours de l’ère moderne, pour créer le concert empreint de poésie «Lettres d’un Sultan».
Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir L’ensemble Constantinople a invité deux Ashiks, qui sont des troubadours de l’ère moderne, pour créer le concert empreint de poésie «Lettres d’un Sultan».

L’Anatolie est cette péninsule située à l’extrémité occidentale de l’Asie et qui couvre une large partie de l’est de la Turquie. Là-bas s’est développée une culture de tradition vivante, celle des Ashiks, qui sont des troubadours de l’ère moderne provenant de la communauté soufie des Alévis. Pour les célébrer, Kiya Tabassian, le directeur artistique de Constantinople, invite Ali-Riza et Huseyin Albayrak, deux Ashiks avec qui il a conçu Lettres d’un Sultan, un spectacle empreint de la poésie de Sultan Shah Khatayi, le roi-poète du XVIe siècle. Dans cette rencontre entre l’Anatolie et la Perse, on intègre également la culture kurde, grâce à la participation de Pooria Pournazeri, un maître du luth tanbur. Quand le Proche-Orient rime avec amour…

« Shah Khatayi est un personnage intéressant de l’histoire, à la fois politique et littéraire », affirme Kiya Tabassian. « C’était un roi persan qui a fondé en 1501 la dynastie safavide, qui a régné en Iran pendant près de deux cents ans. C’était un modéré avec de belles idées de démocratie, un Perse qui parlait aussi très bien le turc. Il a laissé un recueil de poésie avec des milliers de vers et une grande partie de sa poésie est en turc, même s’il était perse. Ses poèmes sont presque devenus les paroles saintes de toute la communauté des Alévis en Anatolie. » Pendant que l’on présente toutes sortes d’images négatives au sujet de l’Iran et de la Turquie, Kiya Tabassian veut mettre en lumière « la beauté qui inspire l’imaginaire d’un homme », pour employer ses paroles. « C’était le roi d’un immense pays, un conquérant, mais aussi un homme de douceur pour pouvoir écrire une si belle poésie. »

L’amour avec un grand « A »

Le roi-poète a loué l’amour sous toutes ses formes avec des poèmes qui parlent également de bravoure et de guerre, mais pour ce projet, on a retenu l’amour avec un grand « A » dans plusieurs de ses facettes les plus nobles, d’autant que « Ashik » signifie« amoureux ». Les troubadours alévis portent donc ce message, et Ali-Riza Albayrak, tout comme son cousin Huseyin, est donc l’héritier de cette tradition et, conséquemment, spécialiste des mots de Sultan Shah Katayi.

Kiya Tabassian les présente : « Ils sont dans cette musique depuis leur plus jeune âge. Le père d’Huseyin était un très grand Ashik, c’est lui qui les a initiés à cet art et au jeu très fin du baglama et au répertoire vocal. Je les ai croisés à Istanbul, ils avaient travaillé avec Azam Ali et ils ont déjà fait un album sur Shah Katayi. Je leur ai parlé de mon projet pour voir ce qu’on peut amener de nouveau à ce poète en intégrant mon côté persan. On s’est rencontré à quelques reprises et, il y a deux mois, on a eu une résidence de création à Istanbul. »

Et quelle est donc cette communauté des Alévis ? « C’est une sorte de confrérie, mais on parle plus d’une “communauté” qui porte la musique quasiment comme le livre divin. C’est une communauté soufie, mais qui n’a pas les mêmes cérémonies que les autres. Leurs cérémonies, c’est au quotidien, c’est de chanter et de jouer. Toute l’éducation est transmise par les chants. »

 

Les retrouvailles

Par le concert Lettres d’un Sultan, les artistes célèbrent également une forme de retrouvailles : « J’ai voulu intégrer cinq instruments qui sont des luths à cordes pincées et à manche long. Il y a mon sétar persan, le tanbur kurde de Pooria Pournazeri et ceux de la famille des baglamas : le divan, le kopuz et le saz des “frères” Albayrak », explique Kiya Tabassian. « Au XIe siècle, le théoricien de la musique Faradi parlait du luth de Khorassan. C’est vraiment l’origine de tous ces instruments. Les faire jouer ensemble, c’est quelque chose qui ne s’est pas fait depuis longtemps. L’idée, c’est de trouver un phrasé commun pour que ces instruments sonnent bien ensemble. » En célébrant le roi-poète des amoureux.


Huseyin et Ali-Riza Albayrak - Ey Erenler

Lettres d’un Sultan

À la salle Bourgie, vendredi 22 janvier à 20 h



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