Passion vinyles (2)

Mon premier 33 tours ? A Hard Day’s Night. La bande originale du film, en mono, avec les pièces instrumentales arrangées par George Martin (ah ! les cordes dans Ringo’s Theme (This Boy), l’ivresse de la liberté !). Un legs. Ma tante Johanne s’était procuré le microsillon en 1964, une étrangeté parmi ses chansonniers québécois. J’en héritai cinq ou six ans plus tard, le jour même où, chez le disquaire du coin de la rue Dijon à Montréal-Nord (un disquaire au coin de la rue, quand j’y pense !), je m’achetais le 45 tours Help !/I’m Down. Du coup, j’avais une collection !
On a tous pareille histoire, geste fondateur. C’est assurément vrai pour ceux qui ont brandi les vinyles chéris de leur récolte 2015 pour cette série : il y a toujours eu transmission. Et ça continue : le disque change de main, vient d’un autre collectionneur, d’un disquaire de confiance, d’un parent qui comprend. L’écrivaine et chroniqueuse Marie-Hélène Poitras a voulu et obtenu en vinyle le premier Safia Nolin, ainsi qu’une réédition de Tori Amos, mais son troisième vinyle est un splendide cadeau de Noël : son « beau-papa » lui a offert le Blue de Joni Mitchell. « Le disque est tiré de sa collection personnelle, et quand je regarde le logo de Reprise Records sur l’étiquette au centre du vinyle, des souvenirs très anciens du tourne-disque de mes parents remontent. C’est un objet qui a une histoire et du vécu. »
Éric Goulet, le chanteur, le guitariste, l’auteur-compositeur, le réalisateur, est tellement dans la création de musique tout le temps qu’il se fie à son frère pour l’aiguiller sur le bon sillon. Christian Goulet, directeur de la production au Devoir, est notre fournisseur attitré d’americana. « Découvert grâce à mon frère le dernier John Moreland. Un sacré songwriter avec une voix à la Steve Earle/Springsteen ! » Je dois au même Christian pas mal de beau monde : Zoe Muth, Lindi Ortega…
Nos gourous de la découverte
Dans un autre registre, Sébastien Desrosiers (qui anime l’émission Mondo P.Q. à CIBL), Sylvain « Capitaine Rock » Lafrenière (collectionneur à barbe infinie, personnage mythique de CIBL) et Richard « Tournesol » Baillargeon (expert en « musiques d’agrément », yéyéphile depuis les années 1960) trouvent leurs vinyles comme s’il s’agissait à chaque fois d’AUTRES manuscrits de la mer Morte. Enthousiastes, érudits, ils retracent les parcours, remontent à l’origine, retrouvent les disparus.
Ainsi Lafrenière propose-t-il le Mr. Music de Thomas Mapfumo & His Blacks Unlimited pour nous instruire, « une bonne introduction au style » de cet artiste « qui a le plus popularisé le chimurenga, qu’il chante en patois et langues tribales du Zimbabwe ». Desrosiers n’est pas seulement fier de son disque des Sweet Somethings parce qu’il lui « a fallu dix ans pour rayer ce rarissime album montréalais de [sa] liste de souhaits », mais parce que c’était l’un des seuls groupes de musiciennes d’ici en 1968, et parce que c’est fameusement bon. Baillargeon est tout aussi fasciné par la face B d’un 45 tours du groupe Le District Ouest : « Le Cardinal semble avoir été composé pour souligner le départ du prélat de Montréal, Paul-Émile Léger, qui avait quitté son poste pour se consacrer à sa mission camerounaise en 1968. » Qui l’eût su, sans le savantissime Tournesol ?
Dessine-moi un disque
Le bédéiste français Hervé Bourhis dessine sa passion pour le rock et les vinyles depuis toujours : il a publié Le petit livre rock, Le petit livre Beatles, 45 tours rock, c’est sans fin. Il est « passé résolument du côté 45 tours » en 2015, écrit-il, « après 28 ans de passion pour le 33 tours ». Pourquoi ? « Parce qu’il y a toujours des morceaux ennuyeux ou ratés sur une face de 33 tours. Et que le 45 tours est moins cher, même d’occasion, et plus facile à manipuler et transporter. »
Ça compte ! Je me revois un petit matin de l’été dernier, n’en croyant pas mes yeux, devant quatre ou cinq caisses de 33 tours empilées au bord du chemin, avec un bout de carton dessus : « FREE ». Dans les caisses, les Standells, les Troggs, les premiers Stones, du folk, du country. Une collection complète. En bel état. Et pas une goutte de rosée. Qui avait donc décidé de se défaire de tout ça ? On n’a pas toujours besoin de savoir d’où viennent les trésors : j’ai rempli l’auto, merci beaucoup. En vérité, je sais parfaitement d’où provenaient ces disques : du désir que j’avais qu’un jour, un beau jour, une telle manne soit mienne.
Les vinyles de…
MARIE-HÉLÈNE POITRAS
Safia Nolin, Limoilou (2015)
Safia Nolin me fait à la fois mourir de rire et pleurer dans l’autobus. « Dans ta bouche, les chansons rendent l’âme », chante-t-elle de sa voix claire et c’est trop beau. Elle est débarquée cet automne avec son côté no-bullshit et ses belles chansons écorchées, ramenées musicalement à l’essentiel. Tout ça m’a donné envie de l’écouter au plus près de la fibre, sur vinyle.
Tori Amos, Under the Pink (1994 ; 2015)
Même si les derniers efforts de la rousse à la « funny lip shape » m’ont déplu, ce n’est pas une raison pour bouder ses grands crus. Ça tombe bien, ses deux premiers albums — les plus puissants — ont été réédités en 2015, en version de luxe 180 grammes. J’ai un faible pour Under the Pink, une éclaircie dans le ciel grunge des années 90, dans lequel je replonge avec bonheur.
Joni Mitchell, Blue (1971)
Et pour compléter cette filiation féminine forte, mon beau-papa m’a offert à Noël un grand classique de Joni Mitchell, qui contient la magnifique River. Le disque est tiré de sa collection personnelle, et quand je regarde le logo de Reprise Records sur l’étiquette au centre du vinyle, des souvenirs très anciens du tourne-disque de mes parents remontent. C’est un objet qui a une histoire et du vécu.
ÉRIC GOULET
The Beatles, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (mono) (1967 ; 2014)
Suivant le conseil de John Lennon, je me suis enfin procuré la réédition mono/vinyle de Sgt. Pepper et c’est vraiment une tout autre expérience ! BEAUCOUP plus rock qu’on aurait pu croire !
Freedom Power, No Wave Dance Party 2015 – The Jon Spencer Blues Explosion (2015)
Un retour en forme et quel concert !
John Moreland, High On Tulsa Heat (2015)
Découvert grâce à mon frère, le dernier John Moreland (beaucoup de Johns dans mes choix). Un sacré songwriter avec une voix à la Steve Earle/Springsteen !
CAPITAINE ROCK (SYLVAIN LAFRENIÈRE)
Thomas Mapfumo & His Blacks Unlimited, Mr. Music (1984)
M. Mapfumo est considéré comme la personne qui a le plus popularisé le chimurenga, qu’il chante en patois et langues tribales du Zimbabwe, le tout mélangé. C’est l’une des voix-conscience du pays, qui a aidé à l’indépendance en 1980. Le disque est fait de chansons semi-acoustiques, longues et hypnotisantes, un bon disque d’introduction au style.
Grinderman, Grinderman 2 (2010)
Projet alternatif pour Nick Cave et plusieurs membres des Bad Seeds, son groupe habituel. Ce disque fut acquis pour avoir une bonne idée des différences digitales et néo-analogique sur vinyle et sur CD : il est clair pour moi que la mode au disque vinyle n’a pas ramené l’essence analogique. Le disque est excellent comme à l’habitude pour ces créateurs, bien que ce soit plus rude et aride que la production de Nick Cave and The Bad Seeds.
HERVÉ BOURHIS
Mad Mike & The Maniacs, The Hunch/Quarter To Four (1964)
La réédition d’un obscur morceau de 1964 découvert dans la compilation de Lux & Ivy des Cramps. Le rock le plus brutal et idiot imaginable. Donc le meilleur.
Money Mark, Cry/Insects Are All Around Us (1995)
C’est toujours un plaisir de trouver un bon single des années 90, vu que la production industrielle de ce format s’est arrêtée en 1991. Après, ce sont des éditions limitées pour les collectionneurs. Ce single du claviériste des Beastie Boys est composé des deux seules bonnes chansons de son premier album. Alors autant garder le 45 tours !
Grauzone, Eisbaer/Ich Lieb Sie (1981)
J’ai eu du mal à trouver à un prix convenable cet excellent single electro-coldwave du premier groupe de Stephan Eicher. Il chante un peu comme un nazi, mais c’est chouette quand même.
SÉBASTIEN DESROSIERS (mondopq.com)
The Sweet Somethings, Hold On ! Sweet Somethings Are Comin’ (1968)
Les premières formations exclusivement constituées de musiciennes font leur apparition au Québec durant les années 60, et au sein des Sweet Somethings, on note déjà la présence d’une ex-Beatlettes et de trois membres des Planètes. Il m’a fallu dix ans pour rayer ce rarissime album montréalais de ma liste de souhaits : un redoutable tour de chant à la sauce R’n’B pimenté par une composition originale à tout casser : He’s My Soul Baby !
L’Inphonie, This Ain’t No Cinerama Baby (1970)
Découvert fébrilement au travers de bandes inédites de l’Infonie pour les films de Jean-Pierre Lefebvre (Q-Bec my love, Les maudits sauvages, Ultimatum), ce second simple méconnu de la troupe de Walter Boudreau a été pressé en quantités infimes pour accompagner la sortie de La chambre blanche. This Ain’t No Cinerama Baby est une bombe soul-psychédélique infoniaque incomparable avec Denis Lepage au chant, véritable légende du R’n’B et du disco québécois. Ce 45 tours tout comme le reste de ces enregistrements ont déjà été repiqués et auront une seconde vie en 2016.
Dalton & Baba, Tu n’es pas la seule qui ne pense qu’à moi (1977)
Dans un sous-sol miteux de Rimouski, j’ai mis la main sur cette impressionnante autoproduction d’octobre 1977 réalisée par le duo formé de Bertrand « Baba » Ringuet et Jean-Marc « Dalton » Bélanger. Après un délire d’applaudissements, on a droit à du stadium rock rudimentaire enregistré sans prétention dans le village de Price (Gaspésie) puis pressé aux États-Unis pour quelques dollars. Baba (sans nouvelle de Dalton depuis des décennies) me confiait récemment que la majorité des 500 copies furent distribuées gratuitement à l’Halloween ou tout simplement égarées avec le temps.
RICHARD BAILLARGEON
Jean Leloup, À Paradis City (2015)
Surtout pour la pièce Les bateaux : à la première écoute, j’ai cru que le message visait chaque auditeur, histoire de renouer avec le public après un long détour. Finalement, j’ai compris qu’il s’adressait à une personne en particulier.
Billy Preston, Everybody Likes Some Kind of Music (1973)
Découvert parmi un lot de plusieurs dizaines de 33 tours. Sûrement l’effet-surprise le plus réussi de l’année : parmi divers titres soul, gospel, la face B se clôt par un… menuet : Minuet For Me.
Le District Ouest, Je suis ton copain/Le cardinal (1968)
La première face, Je suis ton copain, est une chanson pop qui débute un peu comme Black Is Black. Mais la face B est spéciale : Le cardinal semble avoir été composé pour souligner le départ du prélat de Montréal, Paul-Émile Léger, qui avait quitté son poste pour se consacrer à sa mission camerounaise en 1968.