Passion vinyles (1)

À quoi ça se voit, l’engouement grandissant pour le disque de vinyle ? À ce qu’on voit les gens au complet, dorénavant : ils déambulent sans se pencher dans les allées des disquaires spécialisés, Aux 33 tours, Beatnick, voire dans les rayons des vinyles neufs chez HMV ou Renaud-Bray. C’est devenu normal. Qu’ils achètent de la nouveauté, du réédité en vinyle 180 grammes, de l’usagé dûment évalué selon des critères rigoureux, c’est debout.
Telle Melissa Maya Falkenberg, animatrice et chroniqueuse (et plus que férue de country), qui a ramené du fabuleux néo-rockabilly d’une virée sur le Plateau : son Robert Gordon with Link Wray, exemplaire estampillé 1977, elle a « trouvé ça par hasard pour quatre dollars chez Aux 33 tours… Le rock’n’roll, c’est comme le bonheur : quasiment gratis ! » La même Melissa y a trouvé la version vinyle du dernier Coeur de pirate… pour sa fille. « Je me demandais comment elle allait réagir en déballant ça le matin de Noël, parce que ce n’était clairement pas sur sa liste envoyée aux lutins… » Du haut de ses quatre ans (ou presque), elle a eu les « yeux grands comme le 33 tours ».
Il y a encore, dans les conventions de collectionneurs, ceux dont on n’aperçoit que le postérieur et les jambes repliées, façon plombier sous l’évier, tête plongée sous une table et dans une boîte de 45 tours. Mais ces aventuriers de la rondelle perdue (avec un trou au milieu) constituent désormais la frange un brin obsessive de la clientèle : les purs et durs. Il faut un Pat The Brat, journaliste rock et DJ, pour trouver le 45 tours Est-ce qu’on s’cherche ou est-ce qu’on triche / Sud-Est, tel qu’enregistré par le groupe français Toss, « en mission avec DJ Kobal dans un magasin bric-à-brac d’un village d’Alsace près de Mulhouse ». Eh ! C’est la meilleure version de Da Da Da, affirme Pat, meilleure que la version à succès du groupe allemand Trio, « totalement calquée sur l’originale, mais avec une désinvolture new wave 80’s so frenchy ».
Du Bowie, encore du Bowie
Mais si la manière d’acheter son vinyle varie (il y a aussi les sites Internet, de Discogs à l’inévitable eBay), l’objet de désir est souvent le même. Dumas le chanteur, et Phlpp Grrd le bédéiste, ont tous deux placé du Bowie dans leur triplé de tête. C’était ma commande à tous : trois vinyles dénichés et chéris en 2015, avec un mot d’explication pour chacun. Au moment où sort le Blackstar de l’increvable Thin White Duke, c’était dans l’air. Phlpp Grrd à propos de David Live, exemplaire original de 1974: « Un disque dramatique. […] David en mort-vivant, c’est Walking Dead quarante ans avant la série télé. » Dumas à propos du coffret Five Years (1969-1973) : « Enfin la période Ziggy avec un rematriçage analogue de qualité, à des années-lumière des CD qui sonnaient mince, sans dynamique. […] Mick Ronson à son meilleur ! On espère le coffret de la période berlinoise pour 2016 ! »
Vétéran disquaire de Sherbrooke, Sylvain Lecours a proposé des disques particulièrement rares : quand on pense à tout ce qui lui est passé dans les mains, on comprend. « DJ pendant 25 ans, j’étais trop occupé à sélectionner des succès pop dansants. Pendant ce temps, des disques fascinants ont été publiés et ce n’est que quelques décennies plus tard que je les découvre, avide de découvertes. » Il signale notamment à notre attention Je voyage au soleil d’un printemps, par le groupe Fleur de son et Clément Ratelle. Un « pressage privé », réalisation Gilles Valiquette. « À mon oreille, un bel exemple de folk post-Harmonium qui a bien vieilli. »
À la rencontre des Everly Brothers
Acheter du vinyle, c’est se révéler, comprend-on : les préférences s’affichent d’autant que les belles grandes pochettes prennent de la place. Elles ne passent pas inaperçues au comptoir, et on peut les placer en évidence chez soi. On est déjà invité à la surboum, rien qu’à regarder la photo recto du disque A Date With The Everly Brothers. Marie-Christine Champagne, cofondatrice de La Tribu et chroniqueuse à l’émission Chants libres de Monique Giroux, a craqué. « […] et sur ce disque je découvre Love Hurts et retourne dans mon adolescence avec la version chantée par le groupe Nazareth. » En deux mots : révélation et choc ! « Je n’avais jamais entendu la version des deux frères Everly, Don et Phil, un pur ravissement. »
Et les disques trouvés dans les bazars, ventes de garage, friperies, sous les tables dans les conventions de collectionneurs ? Chaque vinyle a son histoire, et on en a des piles. Volume 2 la semaine prochaine.
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Les vinyles de…
PHLPP GRRD (Philippe Girard)
David Bowie — David Live (1974)
Un disque dramatique. Le Thin White Duke complètement défoncé avait-il besoin de mettre sa propre vie dans la balance pour tuer Ziggy Stardust ? La version de All the Young Dudes détonne avec la détresse des autres titres. David en mort-vivant, c’est Walking Dead quarante ans avant la série télé.
David Bowie — Hunky Dory (1971)
Un disque presque introuvable en vinyle. Et pour cause, c’est l’un des chefs-d’oeuvre de Bowie. De Changes à The Bewlay Brothers, chaque morceau est ciselé comme une pièce d’orfèvre. L’illustration de la pochette réalisée par Andy Warhol (à qui David rend hommage en chanson) exige à elle seule d’être admirée en grand format.
The Who — Live at Leeds (1970)
Plus que Tommy ou Quadrophenia, c’est LE disque qui capture toute la brutalité du groupe. Fait étonnant, sur le vinyle, on n’a retenu que six pièces (dont Magic Bus qui occupe toute la face B), alors que la version CD la plus récente en compte quatorze. L’édition originale en vinyle contient plusieurs fac-similés, dont un poster magnifique. Fuck le CD.
MELISSA MAYA FALKENBERG
Robert Gordon with Link Wray (1977)
Red Hot, Summertime Blues, Flying Saucer Rock’n’Roll… Les classiques du rockabilly ont été interprétés des millions de fois, mais peu comme le fait Robert Gordon. En plus, là, il trippe comme un p’tit gars, parce qu’il est accompagné d’un des héros de son adolescence : le légendaire Link Wray. J’ai trouvé ça par hasard pour quatre dollars chez Aux 33 tours… Le rock’n’roll, c’est comme le bonheur : quasiment gratis !
The Ramones – End of the Century (1980)
Han ! Les Ramones sans leur coat de cuir, ça se peut ? Quand c’est Phil Spector qui réalise, oui. Joey Ramone détestait cet album, mais c’est quand même celui-là qui les a fait sortir de l’ombre… End of the Century est tellement coloré et catchy, je trouve que c’est une bonne introduction au punk pour ma fille de trois ans. Dans quelques années, son père lui fera découvrir les « vraies affaires »…
Coeur de Pirate – Roses (2015)
De la pop de haut calibre, mais aussi le vinyle le plus symbolique pour moi, puisque c’est le premier que j’ai offert en cadeau à ma fille. Je me demandais comment elle allait réagir en déballant ça le matin de Noël, parce que ce n’était clairement pas sur sa liste envoyée aux lutins… Les yeux grands comme le 33 tours : « De la musique juste pour moi ? Mon disque à moi ? ! » À la fois doux et puissant, Roses exprime une force intérieure si grande qu’elle agit sur les autres. Presque tous les soirs, ma fille enfile sa robe de ballerine et part dans son monde au son des claviers et de la voix de Béatrice. L’achat d’un vinyle pour Noël deviendra assurément une tradition.
PAT DE BRATTE (Patrick Baillargeon)
Toss — Est-ce qu’on s’cherche ou est-ce qu’on triche ?/Sud-Est (1982)
Plusieurs se sont essayés à réinterpréter le succès du groupe allemand Trio et nombre d’entre eux se sont cassé les dents, sauf Toss, qui a accouché en 1982 d’une version franco totalement calquée sur l’originale, mais avec une désinvolture new wave 80’s so frenchy. Déniché en mission avec DJ Kobal dans un magasin bric-à-brac d’un village d’Alsace près de Mulhouse ; l’endroit était rempli de 45 tours à 1 euro !
Desperados — The End Before the Beginning (1980)
Unique effort du « supergroupe » punk français formé de deux membres de Métal Urbain et de Gasoline ; un maxi de sept titres paru en 1980 et dégoté chez DJ Sly, qui a une connaissance musicale aussi grande que sa phénoménale collection de disques. Tu vas chez Sly avec quelques bières, tu t’assois, tu prends ton temps, tu écoutes ses disques et ses histoires et tu repars avec quelques galettes dont il a bien voulu se séparer.
Joe Higgs — Life of Contradiction (1975)
Un album de deep reggae paru en 1975, la voix pleine de soul de Joe Higgs, des rythmes chaloupés, une basse groovy, des chansons envoûtantes… Des petites perles comme celle-là, on en trouve plusieurs à prix raisonnable à New York sur la 7th Ave au coin de la 23rd St. Il n’y a ni nom ni adresse, juste un type sympathique assis là, dehors, avec les disques qu’il déniche et qu’il installe direct sur le trottoir.
DUMAS
David Bowie — Five Years (1969-1973) (2015)
Enfin la période Ziggy avec un rematriçage analogue de qualité, à des années-lumière des CD qui sonnaient minces, sans dynamique. On suit la transformation de Bowie en Ziggy avec les albums studio, des lives et quelques raretés. Livre de 90 pages avec avant-propos de Ray Davies (The Kinks), du plaisir pour les oreilles et un objet de collection ! Mick Ronson à son meilleur ! On espère le coffret de la période berlinoise pour 2016 !
Ennio Morricone Collected (2014)
Les oeuvres majeures de Morricone réunies sur deux vinyles. Superbe travail de réédition par le label Music On Vinyl, ça sonne la tonne. À haut volume avec un petit verre de rouge, on ferme les yeux… pas besoin d’aller au cinéma !
Paul McCartney — Tug of War (Paul McCartney Archive Collection, 2015)
Le disque boni avec les démos est intéressant, mais ce qui est le plus marquant : la haute qualité de l’audio de l’album principal. À réécouter ne serait-ce que pour Here Today, écrite pour l’ami disparu John… C’est beau à pleurer. Je le conserve précieusement à côté de la réédition de RAM.
SYLVAIN LECOURS
W.D. Fisher — W.D. Fisher (1971)
Petit trésor du « prog » québécois. Le groupe, sous la gérance de Pierre Gravel, publie un seul album anglophone en 1971. Il sera réédité en Allemagne en 2012, sur CD, mais on préfère évidemment sa version originale sur vinyle !
Fleur de son/Clément Ratelle — Je voyage au soleil d’un printemps
Réalisé par Gilles Valiquette, qui n’avait pas encore 30 ans, un pressage privé des Productions du Monde Invisible que quelques chanceux ont pu se procurer pendant les tournées du groupe. À mon oreille, un bel exemple de folk post-Harmonium qui a bien vieilli.
Jenghiz Khan — Well Cut (1971)
Psychédélique et progressif pesant, une livraison belge de 1971, apparemment éditée à seulement 500 exemplaires au Canada. Un bon excitant pour les oreilles et le cerveau. Jacques Languirand le qualifierait sans doute de disque « trippatif ».
MARIE-CHRISTINE CHAMPAGNE
Ann Peebles — I Can’t Stand the Rain (1974)
J’ai acheté ce disque pour la chanson I Can’t Stand the Rain. Oubliez toutes les autres versions de Eruption (durant les années disco), Tina Turner, Seal, Janis Joplin, Michael Bolton, Ronnie Wood, etc. Et découvrez L’ORIGINALE. Ann Peebles, c’est l’amour sous toutes ses formes : sombre, nostalgique, difficile, passé, mais l’amour peu importe ! Clin d’oeil à Nick du Beatnick !
The Everly Brothers — A Date With The Everly Brothers (1960)
Pour la première fois, je m’achète un disque des Everly Brothers. Je connaissais par coeur les Bye Bye Love, Wake Up Little Susie, All I Have to Do Is Dream, et sur ce disque, je découvre Love Hurts et retourne dans mon adolescence avec la version chantée par le groupe Nazareth. Révélation. Choc. Je n’avais jamais entendu la version des deux frères Everly, Don et Phil, un pur ravissement.
Margot Lefebvre — Volume i (1962)
Il faut écouter ou réécouter la magnifique voix de Margot Lefebvre. Sa justesse, son verbe et sa diction ciselés. Je ne sais pas comment mieux vous dire, mais avis à tous les amoureux de pop jazzy élégante avec les beaux arrangements de Michel Brouillette et de Paul de Marjorie. Un petit bijou des années 1960.


