Brillante relecture d’Elektra

Yannick Nézet-Séguin a eu beau dire dans son entrevue au Devoir que la production d’Elektra de l’Opéra de Montréal ne chercherait pas à mettre « en plein visage toutes les couches de subconscient », la nature même du spectacle et son point nodal, qui nous saute en pleine face par l’intermédiaire d’une statue géante, sont radicalement différents de la lecture habituelle.
Opéra marqué par le développement de la psychanalyse au début du XXe siècle, Elektra est, ici, une réflexion sur une fracture oedipienne non résolue plutôt que l’habituelle illustration lyrique de l’hystérie. La résonance de ce brassage des cartes est musicale : sous la baguette de Yannick Nézet-Séguin, Elektra n’est pas une suite de vociférations et d’éclats musicaux entrecoupés d’accalmies, mais un fleuve d’amour entrecoupé d’éruptions.
Il faut entendre, à travers de longues phrases orchestrales soutenues, cette relation fille-père plus grande que nature (à l’image même de la statue) et la manière dont — à travers la musique dans la scène de reconnaissance — cet élan se reporte ensuite sur Oreste, son frère… Ces facettes sont soulignées par la direction du chef québécois, étrangement vêtu d’un simple t-shirt de salle de sport.
Mise en scène superbe
Dans cette mise en scène, Chrysothémis (parfaite et superbe Nicola Beller Carbone) n’est pas une pauvre lâche ridicule : c’est un être qui a réglé ses conflits intérieurs et qui aspire à vivre sa vie de femme en quittant à tout prix une maison dysfonctionnelle. À elle seule, sa simple et élégante robe prouve qu’elle se projette déjà ailleurs. Là aussi, le second duo Électre-Chrysothémis est presque un duo de séduction plus qu’une suite d’imprécations.
Le personnage de Clytemnestre (excellente Agnes Zwierko) est celui d’une femme forte mais très décatie, anéantie par ses rêves. La confrontation centrale Électre-Clytemnestre est plus insidieuse, moins frontale et nettement moins forte que dans la mise en scène de Patrice Chéreau, mais avec quelques belles idées, comme lorsque Électre se positionne sur une échelle de sculpteur pour défier sa mère.
Magnifique idée
Le centre du dispositif, la statue géante d’Agamemnon de Victor Ochoa, refuge d’Électre, qui se referme après le meurtre de la mère, s’impose comme une magnifique idée. Ce dispositif est remarquablement éclairé. Alain Gauthier résout aussi la problématique de la présence permanente d’Électre, cet aimant vers lequel tous descendent : entre les scènes, elle tourne la statue.
Lise Lindstrom n’a pas un rôle facile, car elle est privée de l’agitation et l’hystérie, bons palliatifs pour remplir une scène. Ce qui se passe en elle est parfois ardu à visualiser. Un mouvement d’épaule et un claquement de pied prennent parfois l’allure de stéréotype de l’affirmation de soi.
Il y aurait évidemment long à écrire sur ce qui marche (la dernière image d’une Électre quasi figée dans la position de la statue) ou marche moins (l’erreur impardonnable de distribuer un jeune chanteur dans le rôle du précepteur d’Oreste), mais assurément, le spectacle mérite d’être vu et médité. Alors que le puissant Alan Held est, lui aussi, idéalement distribué en frère vengeur, Elektra renferme beaucoup de seconds rôles, dans lesquels se sont particulièrement distingués Carolyn Sproule en troisième servante, Aidan Ferguson en surveillante et Isaiah Bell en jeune serviteur.