Le soir des joyeux enragés

Bernard Adamus
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Bernard Adamus

Volcan, pour commencer. Assassine chanson, lave en fusion. « Y’a couru jusqu’au garage/Crinqué son gun a’ec toute sa rage… » Francis Faubert n’est pas venu faire de la figuration au gros party de Bernard Adamus, en ce premier soir de Coup de coeur francophone, 29e du nom. Maniwaki, son album de la grande désillusion, il nous l’assène, nous le garroche en pleine face. Preuve d’existence par le rock sans concession. Distorsion dans le fond du tapis. Les amplis à onze sur une échelle de dix, comme dans le docu satirique This Is Spinal Tap, mais sans rire. « Ben content d’ouvrir le Coup de coeur avec un coup de poing… »

Dures, les chansons, mais bienfaisantes aussi : Faubert et les siens (sérieux cogneurs : Dany Placard, Antoine Corriveau, Mathieu Vézio) appuient sur le bobo et le méchant sort, éclabousse le Club Soda comme un gros bouton à tête blanche enfin pété. « J’suis toujours pogné/Entre la rage et l’écorche », ajoute Faubert dans Maman, juste après un solo de guitare hurlant à la mort.

C’est fou comme ça sert d’exutoire à tout le monde, ces chansons qui crachent le mal d’être. Ça donne de la musique jouée sans s’écouter jouer, ce sont des riffs qui fessent parce que c’est nécessaire. Ça fait penser au Dédé de Dehors novembre, mais avec un très fort désir d’en sortir. La rage au coeur, mais qui aurait trouvé une brèche pour éviter l’implosion. Un band en éruption, voilà ce qu’il fallait à Francis Faubert, et il l’avait. Mission accomplie : c’est reparti.

La bringue branque à Bernard

« Ça sent déjà le tabac d’orchestre, c’est pas dans un show de Pierre Lapointe qu’on aurait vu ça », lâche l’Adamus avant de lancer Le blues à GG, déjà content. Et ça part, et ça roule franc, les cuivres avancent comme un train routier qui klaxonne. « Sur la chanson sale des fonds de cour/Éperdu de mots cherchant à dire/Pourquoi puant pays de mes amours/On t’aime encore et pour toujours…. » Ce ton-là ! Une sorte de rage, comme Faubert, mais très, très joyeuse. Exutoire tout autant, mais version extatique. Le solo de piano, au milieu d’Entre icitte pis chez vous, est carrément jouissif. Ça brasse, ça déménage, Bernard le verbomoteur a eu le changement d’huile récent : il déballe son détonnant texte à tellement de mots-minutes qu’on en a le tournis.

Et ça n’arrêtera plus, on le sent, on le sait. Presque tout de suite, c’est Brun (la couleur de l’amour), et le Soda pétille de joie. L’efficacité avant l’irrévérence : c’est ça qu’on appelle le métier. Arrange-toi avec ça bondit en boogie Nouvelle-Orléans, c’en est essoufflant. « La prochaine chanson est écrite par un ivrogne, elle est dédiée à tous les ivrognes », déclare Adamus. Les pros du rouleau étourdit, tellement ça virevolte. « Moi, j’sais pas boire… », conclut le chanteur.

« M’as vous chanter un blues », annonce le gaillard, et Blues pour flamme balance exactement comme un vrai blues du sud doit balancer, avec les cuivres pour ajouter de la houle dans le mouvement. On pense encore à Dédé et ses Colocs, tiens, mais le versant célébration de la musique des origines. La version joyeusement enragée. Vivante et jubilatoire.

Tout le monde chante Fulton Road au complet. On mesure : les albums précédents font désormais partie d’un bagage collectif. Il y a une génération Bernard Adamus. Les chansons du récent Sorel Soviet So What ne sont pas en reste : Jolie blonde (à propos de sa fillette), puis En voiture mais pas d’char poursuivent le voyage dans les terres des musiques de racines de l’Amérique : Bernard prend Dylan à témoin, citant Rainy Day Women # 12 and 35. Oui, la phrase que vous pensez : « Everybody must get stoned… »

Après Dylan, c’est… Jean Leloup qui est réquisitionné. Belle paire de repères. Reprise de Faire des enfants, rien de moins ! Johnny l’a chantée juste à côté ces derniers jours, dans un Métropolis délirant de bonheur. Et ce jeudi soir, le public de Bernard Adamus hurle tout autant les paroles : répertoire fondamental, comprend-on, toutes générations alliées. Suivent les hymnes nationaux de notre antihéros, entonnés dans l’allégresse générale : Rue Ontario, La chanson à 100 piasses. Et ça continue, salve de nouvelles chansons pour finir ça en regardant par en avant. C’est le party tout autant. Ce diable d’Adamus dédie Hola les lolos « à État islamique, au Christian Belt et à tous ceux qui manquent d’amour en général ». Le spectacle n’est pas tout à fait fini, mais tout est dit.

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