La chasse aux trésors de la musique française

Le chef d’orchestre français Christophe Rousset en 2010
Photo: Jeff Pachoud Agence France-Presse Le chef d’orchestre français Christophe Rousset en 2010

Quatre nouvelles luxueuses parutions financées par le Palazzetto Bru-Zane de Venise viennent enrichir le catalogue d’oeuvres oubliées du grand XIXe siècle français.

Lors de la cessation des activités du distributeur ontarien SRI, nous avions craint la disparition du marché canadien de ces magnifiques livres-disques des Editiones Singulares, les plus luxueuses parutions illustrant le travail admirable de la Fondation Bru, du Palazzetto Bru Zane. Il n’en est heureusement rien, puisque le catalogue est repris en distribution par Naxos Canada avec quatre nouvelles parutions à la clé.

Le Palazzetto Bru-Zane est devenu, depuis octobre 2009, le Centre de musique romantique française, qui, prolongeant l’activité du Centre de musique baroque de Versailles, s’est donné pour mission la redécouverte du patrimoine musical français du « grand XIXe siècle », appellation couvrant la période 1780-1920. On rappellera que ce travail, axé sur le soutien à la recherche musicologique, suit un double objectif : valoriser les oeuvres méconnues de compositeurs célèbres et réhabiliter des compositeurs rarement joués. Dernier petit rappel : si certaines parutions vous intéressent, n’en reportez pas l’achat. En effet, chacune fait l’objet d’un tirage limité à 3000 exemplaires numérotés, amenés à devenir de vrais objets de collection.

Un méchant pas si mauvais…

Plus encore que les CD coproduits par le Palazzetto et divers éditeurs (par exemple Le désert de Félicien David chez Naïve, l’un des meilleurs disques de 2015), se distinguent les admirables parutions préparées conjointement avec les Ediciones Singulares à Madrid. Adoptant le format de livres, elles se nourrissent de textes éclairants et fournis (une centaine de pages partagées entre français et anglais) et reflètent les projets vedettes du Centre.

Au sein des fournées précédentes, nous avions remarqué particulièrement Dimitri de Victorin Joncières. La surprise parmi les quatre nouveautés est un opéra en français d’Antonio Salieri, intitulé Les danaïdes.

L’image de Salieri est désormais marquée par le portrait peu flatteur de Peter Shaffer dans Amadeus, porté à l’écran par Milos Forman. Salieri y passait pour un sous-doué voulant la mort de Mozart. Christophe Rousset et Les Talens lyriques réhabilitent Salieri. Ils ne sont pas les premiers, puisque cet opéra avait déjà connu les honneurs du disque, mais ils sont largement les plus éloquents. On relèvera dès la première écoute la qualité de la diction française.

Si j’ai mentionné Christophe Rousset et son orchestre, c’est que l’orchestre joue ici un rôle capital. Son traitement est brillant et virtuose. On pense à Gluck, à Mozart, mais aussi aux couleurs françaises du temps, avec une certaine importance donnée aux cuivres. Soit dit en passant, à composer ainsi en 1784, Salieri n’est à la traîne de personne.

Composé sur un livret adapté d’un projet sur Hypermnestre (une princesse au destin meurtrier) proposé à Gluck, Les danaïdes est un opéra efficace parfaitement servi par la distribution réunissant Judith van Wanroij, Tassis Christoyannis (formidable méchant) et Philippe Talbot.

Trois autres raretés

 

L’équipe menée par le chef Laurent Campellone, qui nous avait déjà donné Le mage de Jules Massenet propose cette fois Les barbares, l’un des 12opéras de Camille Saint-Saëns. Si Samson et Dalila s’est imposé, les 11 autres ont connu un sort nettement moins enviable. Les barbares, comme Henri VIII il y a quelques années, émerge ici, servi par des chanteurs d’un gros gabarit vocal : Catherine Hunold, Edgaras Montvidas et Julia Gertseva. Ouvrage d’approfondissement.

Il en va de même pour l’inégal album consacré à Théodore Dubois, mêlant deux symphonies, une messe, des motets, une sonate pour piano et un quatuor avec piano sur 3 CD. Le compositeur a ici des admirateurs qui n’auront cure de mon tiède accueil de cette anthologie intéressante sur le plan historique, mais à laquelle je ne reviendrai pas.

Par contre, c’est avec plaisir que je réécouterai l’opéra Herculanum de Félicien David, ouvrage épique créé en 1859, qui apporte un contraste passionnant aux oeuvres orientalisantes (dont Le désert) à travers lesquelles David s’est fait un nom. Nous sommes alors, à Paris, à l’époque de Meyerbeer, mais David impose une voix forte. Herculanum(nom d’une ville détruite par la fameuse éruption du Vésuve au temps des Romains) est une oeuvre passionnante, évoquant parfois le Verdi d’avant-1850. Menée par Hervé Niquet, la distribution, un quatuor de choc, réunit Véronique Gens, Karine Deshayes, Edgaras Montvidas, Nicolas Courjal, défenseurs, là aussi, d’une diction française retrouvée.

Les danaïdes et Herculanum sont des révélations majeures de cet automne discographique.


David, Herculanum (1859) - Répétitions et enregistrement


Judith Van Wanroij - Salieri Les Danaïdes, Par les larmes dont votre fille

David : Herculanum

Hervé Niquet. Editiones Singulares 2 CD ES 1020 et «Salieri : Les danaïdes»,
Christophe Rousset. Editiones Singulares 2 CD ES 1019.

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