D’où vient le public de la musique classique?

Dans le Devoir du 5 octobre, en commentant le concert de Gil Shaham à la Maison symphonique de Montréal, nous tirions un signal d’alarme sur « les effets de la fonte de notre banquise culturelle ». Quels seront, dans un futur proche, les auditeurs de la musique classique et qu’est-ce qui les motivera ?

Par le fait du hasard, le même jour de l’autre côté de l’Atlantique, l’Association française des orchestres (AFO) et l’agence Aristat présentaient les résultats d’une Enquête nationale sur les publics des orchestres, étude de grande ampleur compilant 125 entretiens et plus de 11 000 questionnaires, adressés lors de 234 concerts de 13 orchestres différents.

Les études se suivent…

L’enquête nationale sur les publics des orchestres de l’AFO comporte quelques éléments rassurants pour des acteurs du métier secoués par l’étude du sociologue Stéphane Dorin, révélée en janvier 2015 et menée auprès de 5000 spectateurs lors de 110 concerts donnés par 19 orchestres. On retenait de cette dernière une comparaison-choc : « En 1981, l’âge médian de ceux qui allaient aux concerts de musique classique était de 36 ans. En 2014, il était passé à 61 ans en France, les moins de 40 ans ne représentant que 17 % de l’audience. »

Des constatations allant dans ce sens avaient inspiré des interrogations et un plaidoyer à Kent Nagano dans son livre Erwarten sie Wunder (Attendez-vous à des miracles), paru en octobre 2014.

Aristat tombe sur un « âge moyen de 54 ans pour le spectateur des concerts symphoniques » et conclut que « la forte fréquentation de la tranche 60-70 ans ne permet pas, à elle seule, de conclure à un vieillissement accéléré du public ».

Certes, mais la lecture de la synthèse de l’étude de l’AFO montre bien vite, malgré ce qu’en ont complaisamment relayé les médias français, dans quel sens il s’agissait d’orienter les résultats pour « décatastrophiser » la situation. Ainsi, l’« âge moyen » n’est en rien l'« âge médian ». Ce dernier est le vrai baromètre, car il « correspond à l’âge permettant de séparer les publics en deux groupes numériquement égaux ». Et là, l’AFO reconnaît que « 50 % des publics ont moins de 63 ans et 50 % des publics sont au-delà », donnée inquiétante allant dans le sens de Stéphane Dorin.

Trains et public

 

Avec un titre explicite, Quand le public des orchestres en cache un autre, l’AFO met tout de même en avant des résultats inattendus et encourageants tel l’impact positif des actions éducatives : « L’enfant est le premier médiateur pour 12 % du public adulte, qui pousse la porte de la salle de concert grâce à lui. » Certains parents profitent des offres « jeune public » pour initier leurs enfants et découvrent eux-mêmes le classique.

Autre bon point : la diversité sociale des publics est plus grande que ce à quoi on s’attendait. « Les cadres ne représentent qu’un peu plus de la moitié des spectateurs, l’autre moitié étant composée de professions intermédiaires, d’ouvriers, d’employés, etc. Cette diversité s’accentue pour les publics des orchestres de région, plus hétérogènes que ceux en milieu urbain. »

La donnée la plus porteuse d’espoir est que « le renouvellement du public s’observe dans l’enfance, mais aussi à l’âge adulte ». L’enquête confirme l’importance de l’initiation au classique pendant l’enfance, mais révèle que « 45,4 % du public s’est initié au concert classique à l’âge adulte ». L’étude identifie cependant une classe d’âge sinistrée, celle des 30-49 ans, qui ne représentent que 6,3 % des spectateurs.

Il conviendra de brasser tout cela après digestion de l’étude. La preuve est que l’AFO conclut trop vite que « les mélomanes dits “exclusifs”, c’est-à-dire ceux qui se déplacent principalement pour les oeuvres jouées et pour les artistes, ne sont pas majoritaires (34 %) ». Certes, « les spectateurs viennent surtout pour partager un moment de plaisir avec des proches ou des amis et pour ressentir l’émotion de la musique », mais il est totalement abracadabrantesque de vouloir « nationaliser » une donnée pourtant à croire à une insensibilité quant à la teneur de l’offre artistique. Il est évident que l’attitude est radicalement différente à Strasbourg, Bordeaux, Lille (ou Québec), où les gens « vont à l’orchestre » comme une sortie, indifféremment de qui dirige, et des métropoles comme Paris ou Montréal, dans lesquelles il y a surabondance de l’offre et une vraie concurrence.

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