Taylor Swift au pouvoir

La chanteuse Taylor Swift lors d’un récent concert à Las Vegas en mai.
Photo: John Davisson/Invision/Associated Press La chanteuse Taylor Swift lors d’un récent concert à Las Vegas en mai.

Et croque la pomme. Et mange la pomme. Avec le coeur et les pépins. Et crache les pépins. Et s’empare du serpent tentateur, qu’elle fait tourner autour de sa tête mignonne d’impossible Barbie-pour-vrai comme si c’était le lasso de ses années au paradis du country. Et terrasse le serpent. Genèse, version 2.0. La pomme s’appelle Apple Music, Ève s’appelle Taylor Swift, et la belle mène le bal, et elle s’amène à Montréal ce mardi, et gare à qui se trouverait en travers de son chemin.

Rappelons l’affaire. Le géant de l’informatique Apple, dans toute sa magnanimité de maître de la mise en marché, avait décidé de sucrer l’entrée en scène de son service de musique en continu — Apple Music — par trois mois d’essai en toute gratuité pour l’usager. Et sans redevances pour l’usagé : à savoir le fournisseur de contenu, auteurs, compositeurs, interprètes. Rien. Nada. Que dalle. Revenus infinitésimaux, mais revenus quand même. Et voilà que la têtue de Taylor, non contente d’avoir envoyé paître Spotify et autres joueurs du grandissant carré de sable de l’écoute en continu, s’est rebiffée : Apple n’aurait pas ses disques déjà disséminés à quelque 40 millions d’exemplaires, et surtout pas le plus récent et le plus célébré, le 1989 paru l’automne dernier. En quelques gazouillis dégainés plus vite que sa filiforme ombre, c’était réglé : Apple tout penaud s’excusait, et après génuflexion, rétablissait les infinitésimales redevances.

La planète pop a applaudi, les créateurs les plus divers ont chanté en mille variantes les mots de notre Diane Dufresne nationale : « Faut qu’y en ait une qui le fasse/Pis j’vas le faire à ta place ! » Même Neil Young, tout à son propre combat contre Monsanto, a fait entendre son contentement. Évidemment, l’industrie du disque n’avait pas attendu son égérie pour agir, et pressait Apple de lâcher son jus : le lobbying intense avait déjà fait son petit effet quand Swift a secoué le pommier. N’empêche que le geste a frappé les esprits : la mégavedette pop des mégavedettes pop mondiales, forte de son pouvoir, s’était insurgée. À elle seule — tout est dans la perception —, Taylor Swift a fait réfléchir ET fléchir Apple.

À elle les photos d’elle

Du pouvoir à l’abus de pouvoir, le pas est vite franchi, constate-t-on aussi : la même championne des droits d’auteur, par le truchement de Firefly Entertainment inc., faisait parvenir aux médias, dont Le Devoir, un long contrat en petits caractères qui, en gros, dit ceci : les photos que l’on croquera d’elle au Centre Bell, c’est à elle, et rien qu’à elle. Droits cédés ou rien. Et permission en toutes lettres de détruire appareils et contenu, advenant rupture de contrat (vous aurez compris que Le Devoir n’acceptera pas ces conditions). Cette pratique, le contrôle de l’image officielle à l’heure du iPhone brandi comme autant de briquets dans les concerts, est de plus en plus courante : sans doute faudra-t-il qu’une Taylor Swift à la place de Taylor Swift se lève et dise non au nom de ces autres créateurs qu’on appelle les photographes.

Et que chantera au Centre Bell la jeune femme qui, à 25 ans, peut faire ce que bon lui semble ? Peu ou pas les airs country de ses premiers disques : il y en avait évidemment beaucoup au programme de 2011 (passage à pareille date ou presque : le 14 juillet), mais la rupture avec le genre a été consommée avec l’album résolument pop 1989, et les robes campagnardes ont été sciemment remplacées par une sorte d’uniforme de championne olympique du saut au sommet des palmarès (un brin pom-pom girl post-moderne). Dans cette tournée, tout 1989 passe, les 14 titres, plus une poignée « d’anciennes », affirmant sans ambages que Nashville était un tremplin, et que la bondissante chanteuse se montre désormais la pomme sur toutes les plateformes.

Taylor Swift – The 1989 World Tour

Au Centre Bell à 19 h 30 ; Vance Joy en première partie.

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