Wilfrid’n’roll façon Huey Lewis et ses News

En deux mots : Wilfrid debout. Pour ainsi dire toute l’heure trois quarts du spectacle, asséné sans pause ni première partie de réchauffement. Pas besoin de rien d’autre mercredi soir dans l’intimidante salle que Huey Lewis, ses News et leurs salves de succès et de reprises doo-wop et soul pour que le party lève, soulève et dure. À peine a-t-on eu droit en plus à un présentateur, et encore, c’était un volontaire : monsieur le maire Denis Coderre (« Salut Montréal, welcome Montreal, the heart of rock’n’roll ! »). Un fan parmi d’autres fans, qui saisissait sa chance et ne boudait pas son plaisir.
Eh, c’était il y a 29 ans, la fois d’avant, au Miller Fest du parc Jarry ! Ça donnait la mesure de la joie anticipée, mais aussi des attentes, forcément grandes. Les gens avaient encore en tête Huey et les siens dans les clips de MusiquePlus première époque : retrouver le chanteur et son groupe après tant de temps comportait une part d’indulgence et une part de risque. Indulgence ? Risque ? À d’autres. Il a fallu une chanson, même pas une chanson : dès le battement de coeur qui annonce The Heart of Rock’n’Roll, on savait. La charge massive allait suivre. Et charge massive il y eut, et nous étions debout, et nous exultions.
Huey Lewis et ses News, plus encore qu’on s’en rappelait, c’est du condensé de feel-good rock’n’roll. Le détonant substrat des formes de base de l’histoire du rock : soul, blues, R’n’B, doo-wop, rock de garage, refrains pop prêts-à-entonner, et plus encore. Trois décennies et demie de showmanship au service de l’efficacité bon enfant et des chatouilles dans les jambes. De la frénésie des cuivres (I Want a New Drug) au groove souverain à la manière Stax (But It’s Alright), du fumant rock de riffs (Heart and Soul) au shuffle le plus souple (Bad Is Bad), de la douceur de vivre beachboysienne (This Is It) à la légèreté des harmonies doo-wop de Little Bitty Pretty One (reprise de Bobby Day, qui se danse en mashed potatoes !), c’était une véritable leçon de rock. Voilà comment on fait.
Comment on fait ? On attaque serré, mais sans s’énerver. On joue pour jouer, pas de chiqué, mais sans se prendre la tête non plus : vouloir triompher, triompher en effet, mais en s’amusant. C’est comme dit le titre de la dernière chanson d’avant la salve du rappel : We’re not Here for a Long Time (We’re Here for a Good Time). Tout un art, je vous dirais : faut avoir joué beaucoup, beaucoup, pour que ça semble si aisé, si agréable à vivre. Chaque moment, chaque solo d’harmonica de Huey, chaque solo de saxo de Johnny Colla, tout était en place et donné pour le maximum d’effet, mais tout semblait parfaitement spontané. Rock’n’roll attitude.
Bien sûr qu’on allait chanter les refrains de Trouble in Paradise, Stuck With You et The Power of Love : c’était plus qu’espéré, exigé ! Mais on avait oublié à quel point ces refrains sont idéalement conçus pour faire du bien quand on les chante à pleins poumons. On avait oublié le pouvoir de ces chansons, un peu noyées dans l’eau du bain des années 1980, et il fallait les vivre en spectacle pour savoir. Le potentiel de défoulement. Le supplément d’âme ainsi insufflé.
La dernière chanson, un rock dans le tapis, disait tout : Workin’ for a Livin’. C’était ça, Huey Lewis et ses News à Wilfrid, ni plus ni moins : du travail bien fait. De quoi inspirer, inciter tout le monde à faire mieux, y compris un maire rock’n’roll.