La frappe chirurgicale

Hit and run, tournée blitzkrieg. Mercredi soir, le promoteur Evenko envoyait le communiqué : spectacle de Prince avec son trio de choc 3RDEYEGIRL au Centre Bell samedi 23 mai. Billets en vente le lendemain midi. Et samedi soir à 22 h 25, deux denses heures et quelque 25 titres plus tard, c’était fini pour les milliers de rapides de la gâchette qui avaient dégainé jeudi leur carte de crédit. Et Prince était reparti. On en avait le tournis.
Rien à voir avec le marathon de 2011 au Métropolis, où Prince joua et chanta jusqu’au bout d’une épique nuit : ce samedi, on était dans la frappe chirurgicale. Effarante efficacité, ahurissante concentration des effets. Pas un tempo à perdre pour Prince et ses trois formidables musiciennes. Précisons : 3RDEYEGIRL, c’est Donna Grantis, Hannah Welton et Ida Kristine Nielsen, aussi fortiches en riffs béton armé qu’en funk hachuré au rasoir. S’ajoutaient deux choristes et une haie d’honneur de cuivres. Véritable commando prêt à remplir à la nanoseconde près toutes les commandes du sensationnel showman.
L’assaut par blocs
La stratégie princière ? L’assaut par blocs. Vlan rentre-dedans le psych-blues et le hard-rock en intro, les nouveautés Wow et Funknroll permettaient à Roger Prince Nelson de se la jouer Hendrix supersonique dans les solos, moitié dextérité insensée, moitié esbroufe. On a évité de peu le solo de batterie : Prince était déjà ailleurs, et son monde aussi.
Première salve d’imparables : Let’s Go Crazy (version « reloaded ») et Raspberry Beret. À peine les acclamait-on que le diable d’homme passait en mode générationnel : « Do you remember the 80’s ? » Frisson quand on a reconnu Don’t Stop ‘Til You Get Enough : oui, du Michael Jackson, à la perfection. Suivait Cool, reprise du groupe The Time, très James Brown dans le rendu (c’était très voulu). Ça aurait pu continuer : il en a relu d’autres à Detroit, en avril. Mais non. Deuxième salve de tubes : When Doves Cry, Sign « O » The Times.
Meneur de claque
Et hop, une petite foule de fans était invitée à se déhancher disco sur scène, le temps de Hot Thing (reprise de Vanity 6) : trop de monde, on ne voyait même plus le diminutif Prince, mais bon, l’objectif était atteint : party ! Ça faisait plaisir à l’intéressé, qui passait déjà la moitié des chansons à faire le meneur de claque et à faire entonner « Mon-tre-al » aux Montréalais. Ça doit être plus difficile dans son bled natal de Minneapolis, me disais-je : trop de syllabes.
Mine de rien, après une troisième salve sans appel (Controversy, 1999), on en était aux rappels. Séquence claviers sur coussin d’air, Prince presque solo. Constat : s’il a encore les doigts, il a aussi la voix. Registre phénoménal, falsetto inhumain : How Come U Don’t Call Me Anymore était l’archétype de la ballade soul, d’inspiration Curtis Mayfield.
Et après ? Little Red Corvette, pas la plus réussie, avec drôle d’intro. Mais après ! Rien, dans ces heures pourtant démentiellement menées, ne se comparait à la version immense et immensément partagée de Nothing Compares 2 U : il faisait les couplets, nous les refrains. Communion, élévation des âmes, c’était beau à pleurer.
« Look at all these people we got in here with just a few days notice… I would call this love ! », s’est ému notre Prince. Et ce fut la fête avec Kiss, et puis, pour le second retour, une grande prière gospel-soul intitulée The Love We Make, et puis Purple Rain, bien sûr, et puis voilà. Au revoir, et à la prochaine fois. On se tapotait le visage en sortant : il vient de se passer quoi, là ? Tout ça. Il s’est passé tout ça.